Société

Ramdhane Hamlet. Ancien colonel de l’ANP: «Désarmer les patriotes et dissoudre la garde communale, une erreur…»

Plusieurs attaques terroristes – l’embuscade d’Iboudraren dans la wilaya de Tizi Ouzou, celle du week-end dernier à Aïn Defla et bien d’autres qui ont coûté la vie à plusieurs soldats de l’ANP – se sont déroulées selon le même mode opératoire. Certains mettent en cause la baisse de vigilance, d’autres le manque de formation de ceux qui sont sur le terrain de la lutte contre le terrorisme. Ne pensez-vous pas que ce sont les deux causes en même temps ?


Permettez-moi, avant de répondre à votre question, de donner la définition de l’embuscade pour permettre aux lecteurs de comprendre les raisons qui poussent les terroristes à choisir ce mode d’action. L’embuscade consiste à guetter d’un lieu dissimulé le passage d’un ennemi pour l’attaquer par surprise.
Il y a deux types d’embuscade : la première a pour objectif de ralentir un adversaire ; la seconde de lui tendre un piège qui se referme sur lui. Les terroristes optent pour les opérations ponctuelles, à savoir les embuscades et les guets-apens, pour plusieurs raisons ; je cite entre autres leurs manques en effectif et en moyens matériels. Pour lancer des opérations offensives de grande envergure, les emplacements des détachements de l’armée sont consolidés par un bon dispositif de surveillance qui permet une riposte rapide et efficace.
Les terroristes, pour ne pas subir de pertes humaines – qui sont pratiquement impossible à remplacer – et matérielles, évitent la confrontation et ne s’aventurent jamais dans ce genre d’opération ; seules les embuscades comme mode d’action conviendraient aux terroristes. Une embuscade bien préparée et bien exécutée par l’élément mis en place sur un terrain bien choisi et qui répond favorablement à une telle mission peut causer beaucoup de dégâts à l’adversaire.
En ce qui concerne la baisse de vigilance, elle est parfois à l’origine de la réussite des attaques terroristes ; c’est une faille que les sanguinaires exploitent pour s’attaquer à nos militaires en mouvement, généralement avec succès malheureusement. C’est pour cela qu’il ne faut jamais baisser la garde. Nous traversons seulement un calme précaire, les groupes armés sont toujours là et peuvent frapper à n’importe quel moment. Le terrorisme n’est pas définitivement vaincu, je peux dire qu’il a été réduit par la combinaison des efforts de l’ANP et du peuple.
Pour ce qui est de la formation, on ne peut pas juger une armée par les pertes subies lors d’une seule opération, qu’elle manque de professionnalisme ou qu’elle soit mauvaise ou mettre même en doute le degré de la préparation au combat. Les Américains, les Français ont subi de lourdes pertes en Afghanistan et en Irak dans des embuscades. Je cite à titre d’exemple les pertes en vies humaines subies par le régiment parachutiste français (8e RPIMA) le 15 février 2013 dans une embuscade des taliban.


– Vous qui étiez sur le terrain de la lutte contre les groupes armés dans les années 1990, avant d’être forcé précocement de partir à la retraite, et qui suivez aujourd’hui, en tant qu’observateur, l’actualité sécuritaire, quel regard portez-vous sur la manière dont se déroule le combat contre le terrorisme ?


A mon avis, l’ANP joue son rôle comme il se doit en matière de lutte antiterroriste et accomplit sa mission de surveillance de nos frontières terrestres et maritimes avec grand succès. Plusieurs tentatives d’infiltration ont été déjouées, plusieurs saisies d’armes ont été effectuées, sans oublier les résultats enregistrés ces derniers temps à travers le territoire national par les unités de l’ANP qui ont mis hors d’état de nuire plusieurs terroristes et ont récupéré des lots très importants d’armes au cours de ce premier semestre de l’année 2015.
Il y a eu également le démantèlement de plusieurs réseaux de soutien aux terroristes et de cellules de recrutement de djihadistes au profit de Daech. Seulement, au le plan politique, il me semble que nous ne faisons rien pour protéger les jeunes afin qu’ils ne tombent pas dans les bras des terroristes.
La corruption qui bat son plein – elle est devenue même un mode de gestion –, l’incompétence et le régionalisme sont des facteurs qui constituent le terreau de la violence. Au pouvoir politique de prendre les choses en main avant qu’il ne soit trop tard et que les groupes terroristes prospèrent. Le chômage, la drogue, la prostitution et bien d’autres fléaux sociaux, à mon avis, sont de véritables générateurs de violence en Algérie.


– Les organisations terroristes, Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) le groupe qui s’en est détaché pour déclarer son allégeance à l’Etat islamique (Daech), en l’occurrence Jund El khilafah, opèrent-elles de la même manière que les Groupes islamiques armés (GIA), l’Armée islamique du salut (AIS) et le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) dans les années 1990 ?


A mon avis, les organisations terroristes utilisent les mêmes moyens et méthodes pour atteindre leurs objectifs. Le terrorisme, quel que soit son origine, est un ensemble d’actes de violence commis pour créer un climat d’insécurité. A partir de là, je peux dire que les groupes terroristes GIA, GSPC ou autres sont là pour semer la terreur et la peur au sein de la population en commettant des atrocités.
Sauf que le procédé change d’un groupe à un autre. Ils agissent de la même façon et, de manière générale, toutes les organisations terroristes utilisent les mêmes modes opératoires, cela va de la simple embuscade aux attentats-suicide contre des innocents. Les groupes terroristes ont commis des génocides, violé des femmes, égorgé des enfants. Ils pratiquent le racket pour le financement de leurs actes.
– Beaucoup d’officiers supérieurs, qui ont mené la lutte contre le terrorisme durant ce qui est communément appelé la décennie noire, ont quitté les rangs de l’armée, volontairement ou mis à la retraite à un âge précoce. Est-ce que, selon vous, leur expérience et leur formation font aujourd’hui défaut et que cela a été une erreur de se passer de leurs services ?
La majorité des chefs d’unité impliqués dans la lutte antiterroriste durant les années 1990 sont partis à la retraite à un âge très précoce. On n’a même pas eu le temps de transmettre notre expérience et notre savoir-faire dans ce domaine à nos successeurs. Ces officiers étaient d’une formation solide dans les différentes écoles nationales, mais ont fréquenté aussi les grandes écoles militaires étrangères (France, Etats-Unis, Russie…).
A mon avis, les avoir libérés à un jeune âge est une erreur monumentale. Se passer des services de jeunes officiers très expérimentés dans le domaine opérationnel, ainsi qu’en matière de formation, est anormal. Nous souhaitons de tout cœur que la relève soit à la hauteur des défis et qu’elle fera face aux menaces.


– Ceux qui étaient sur le terrain de la lutte contre le terrorisme regrettent aussi l’apport de la Garde communale, des Patriotes et des Groupes d’autodéfense qui ont été sacrifiés sur l’autel de la réconciliation nationale. Qu’en pensez-vous ?


Il faut reconnaître le rôle du peuple algérien et sa contribution, son implication directe aux côtés des services de sécurité et de l’ANP. Les Patriotes, les GLD, les DEC – sans oublier le rôle courageux de la femme algérienne – ont participé chacun à sa manière à la lutte antiterroriste dans les années 1990. Je leur rends un grand hommage. Avec le désarmement des Patriotes et la dissolution des détachements des Gardes communaux, on a dégarni le terrain au profit des groupes armés.
Le déploiement et l’apport des Gardes communaux et la présence permanente des Patriotes et des GLD sur le terrain étaient vraiment importants dans la lutte antiterroriste. L’armée ne pourra jamais couvrir tout le territoire national pour empêcher les mouvements des groupes armés surtout avec les problèmes sécuritaires dans les pays voisins qui a nécessité le déploiement d’un volume de force considérable sur tout le long des frontières terrestres.
Le vide laissé par ces détachements ne pourra jamais être comblé, sauf si on faisait appel aux citoyens d’assumer leurs responsabilités pour défendre le pays dans le cadre d’une mobilisation générale dans quelques régions d’Algérie, notamment en Kabylie, où on a constaté une certaine recrudescence des actes terroristes. Le désarmement des Patriotes et la dissolution des Gardes communaux sont une grave erreur commise par les décideurs.


– Comment évaluez-vous, en tant qu’observateur, la menace terroriste en Algérie ? Quelles sont les voies à adopter pour en prémunir notre pays ?


Les menaces qui pèsent sur l’Algérie sont réelles. A l’Ouest, des quantités énormes de drogue et d’alcool traversent nos frontières terrestres ; les quantités saisies durant les deux dernières années en provenance du Maroc sont énormes (400 tonnes). Au Sud, c’est l’instabilité au Sahel qu’écument les groupes terroristes et les contrebandiers. A l’Est, il y a la Libye plongée dans le chaos de l’instabilité politique et une terrible crise sécuritaire avec la prolifération de différents groupes armés.
Dans l’Est libyen, la circulation des armes est incontrôlable avec surtout la présence de plus de 1700 milices armées. Mais la vraie menace reste l’organisation terroriste Daech. C’est une menace réelle sur l’Algérie, surtout après les attentats perpétrés en Tunisie et revendiqués par l’EI. L’Algérie est entourée d’une ceinture de feu sur le long des 6500 km de frontières, qu’il faut surveiller comme le lait sur le feu. Les voies pour prémunir notre pays des actes terroristes sont : la volonté politique, la volonté collective, une activité et une vigilance permanente des services de sécurité.

Said Rabia

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