Société

Séquestre français des cranes des résistants algériens.

Par Mohamed Bouhamidi

Enfants, pour échapper à l’étouffante présence des patrouilles militaires, nous nous échappions, parfois, vers les ruelles désertes et toutes dissemblables des hauteurs de Belcourt et leurs constructions aux âges juxtaposées, murettes de pierres brunes et ocre à côté de villas en maçonnerie moderne.

Vers le nord, en bas, près de la mer et du port, les usines et les immenses ateliers présentaient cette même incertitude d’architectures mais dans des rues rectilignes.

Quelquefois, des ouvriers algériens s’étonnaient de nous voir errer dans les rues désertes bordées d’ateliers. Alors, suspendant leur travail, ils nous demandaient ce que nous faisions là et nous conseillaient de rentrer chez nous.

Pour la même raison qui nous faisait quitter les zones arabes du quartier : éviter les patrouilles.
Tendresse de cette époque de guerre qui tissait le hasard des fraternités et les vertiges de la haine ou des trahisons qui nous exposaient à la violence.

Sur le haut de Belcourt, au départ d’un mur de pierres, un mur arabe selon nos dénominations, pierres liés d’argile ocre, commençait une rue onduleuse qui aboutissait au grand Boulevard Bru par lequel nous prenions le chemin vers la forêt des arcades pour rejoindre les zones arabes.

Nous étions des virtuoses imprenables des frontières impalpables entre le pays arabe et le pays pied-noir.
Je m’arrêtais, à chaque fois, pour lire la plaque apposée plus haut que mes yeux : Rue Zaatcha.

Je retournais en cachette de mes copains, le plus souvent possible vers cette rue. Un jour, à leur insu, j’avais croisé, le cœur tremblant, le regard soleilleux d’une petite fille qui ressemblait au jasmin.

Rue Zaatcha. Sans aucune indication ou précision. Qui pouvait être ce Zaatcha, pour mériter cette rue ombreuse et taciturne ?

Quel enfant pouvait imaginer que c’était là une rue nommée à la gloire d’une victoire française sur les habitants d’une oasis du sud algérien ?

Des années plus tard, j’attendais la fille au regard de lumière, près des étals de bouquinistes et de leurs livres aux tendresses fripées.

Un fascicule brun, austère, aux allures d’ermite, portait le titre de Zaatcha.
Je l’ai relu plusieurs fois.

Les habitants de Zaatcha, oasis près de Biskra, avaient refusée l’ordre colonial en marche dans la conquête de notre pays.

Les habitants de l’oasis, désignent Hadj Bouziane, chef de leur résistance.
D’un côté, hommes, femmes, enfants, armés de fusils. Sans armes lourdes et totalement encerclés sans espoir de soutien externe. Vous pouvez imaginer le poids moral d’une résistance dans laquelle le vie de vos enfants, de votre chair dédoublée, est en jeu.

De l’autre, des troupes françaises bien armées et munies de canons et autres armes lourdes sans l’embarras des femmes et des enfants, renforcées par des supplétifs algériens menés par Bengana, d’autant plus féroces que traîtres.
Le siège a duré du 7 octobre au 26 novembre 1849, après un premier accrochage en juillet de la même année.
Aucun habitant de Zaatcha ne survécut. Aucun. Le dernier mort fut le fils de Bouziane, décapité par un caïd supplétif. Une autre extermination après celle des Aoufias, ou celle des Ouled Riyah.

Le crâne de Bouziane est séquestré dans un Musée de l’Homme, en France. Avec ceux d’autres chefs résistants.

Ma représentation de Belcourt fut désormais inséparable de l’épopée de Zaatcha. C’est tout cela qu’a éveillé en moi l’appel de B. Senouci à agir pour récupérer les crânes de nos héros séquestrés en France.
C’est ma façon de vous inviter à relayer et signer son appel.

Par fidélité aux résistances tumultueuses ou souterraines de mon quartier de Belcourt et par admiration pour le nom des Zaatcha qui ont couvert de leurs ailes les premières émeutes de mon cœur d’ado.

M.B

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