Politique

Sois Charlie et tais-toi

Sois Charlie et tais-toi

Après les attentats contre le journal Charlie Hebdo, la France continue de traverser une zone de turbulences. En première ligne, l’école, placée bien malgré elle, en ligne de mire cristallise toute l’attention.
L’affaire très médiatisée du petit Ahmed, huit ans, convoqué par la police au motif qu’il aurait exprimé sa sympathie pour les terroristes, émeut et divise la société. Elle est révélatrice d’un climat quelque peu hystérique qui pousse des enseignants, encouragés il est vrai par leur ministre Najat Vallaud Belkacem, à remettre aux mains de la police des élèves qui « posent problème ». En clair, des élèves qui ont chahuté la minute de silence dans certains collèges et lycées ou, comme c’est le cas pour le petit Ahmed, des enfants qui tiennent des propos jugés « dangereux ».
Quelques deux cents incidents sur les 64 000 établissements ont été recensés par le ministère allant du drapeau palestinien brandi pendant la minute de silence, aux protestations de certains élèves refusant « d’être Charlie ».
L’Education Nationale se retrouve au cœur d’une contradiction de taille: au nom de la liberté d’expression pour laquelle les journalistes de Charlie Hebdo sont morts, elle endosse le rôle de censeur obligeant les élèves à se ranger derrière une parole unique, qui ne souffre aucune contestation : sois Charlie et tais-toi ! La fameuse petite phrase érigée en sésame d’une nouvelle citoyenneté, heurte la conscience. Car que signifie-t-elle en réalité ?
Tout le monde, du jour au lendemain est devenu Charlie. Et tout le monde est venu à la marche parisienne vite transformée en cérémonie officielle sous l’égide d’un François Hollande et d’un Manuel Valls désormais au sommet dans les sondages. La présence, lors de cette manifestation d’union nationale, de quelques dictateurs, et non des moindres, ainsi que de Netanyahou a quelque peu gâché la fête.
Or, ces jeunes qui protestent et se rebiffent ne s’y trompent pas. Loin de défendre une quelconque cause djihadiste, comme on voudrait le faire croire, ils en appellent au dialogue, au débat. Et s’ils usent pour cela de provocation, de bravade, c’est dans l’ordre des choses et de leur âge. Ils ne font rien d’autre qu’exercer leur droit à la critique, leur liberté de penser. Ils veulent qu’on leur explique le traitement à géométrie variable de la liberté d’expression. Ils demandent à leurs enseignants de nourrir leur réflexion, alimenter leur analyse, répondre à leurs questions, comprendre. C’est-à-dire de faire leur métier.
N’est-ce pas dans le débat contradictoire que la pensée se forme et se forge ? N’est-ce pas là le rôle des enseignants, dialoguer, apporter des arguments, quitte à remettre en question leurs certitudes ? L’expérience le montre. Là où les enseignants ont fait ce travail, c’est-à-dire presque partout, il n’y a pas eu d’incidents.
Mais la réponse apportée par l’institution dans certains cas, n’a fait que conforter ces jeunes dans l’idée qu’en France la liberté d’expression est réservée à certains. Car cette réponse s’inscrit dans le registre de la répression allant parfois jusqu’à des peines d’emprisonnement. Des jeunes ont été condamnés en comparution immédiate à des peines parfois très lourdes. Pour de simples paroles. Ou un dessin.
La ministre de la justice Christiane Taubira s’était pourtant illustrée au moment de sa prise de fonction par un discours progressiste. Elle souhaitait prendre des mesures pour désengorger les prisons et proposer une autre alternative que la privation de liberté, pour les délits mineurs.
Curieusement, alors que l’enquête après l’attentat a montré une fois de plus que l’univers carcéral est une véritable école de la « radicalisation », la seule réponse aux propos dérangeants, c’est la prison !
Rien pour juguler la pauvreté et le chômage dans les quartiers, rien pour corriger les inégalités que reproduit l’école, rien pour démanteler les ghettos, rien pour lutter contre le racisme et les discriminations. Juste des postures, comme celle du premier ministre évoquant un « apartheid » et provoquant une belle diversion sémantique.
Le président et son premier ministre sont remontés dans les sondages. Mais à quel prix ? Et jusqu’à quand ?
Dans les semaines qui ont suivi l’attentat plus de 150 actes islamophobes ont été perpétrés. Les Musulmans, inquiets ont vite compris que malgré les mises en garde contre les amalgames, ils feraient les frais de ces événements.
La convocation du petit Ahmed par la police, même accompagné de son père ainsi que s’est empressée de rassurer la ministre, signe un franchissement sans précédent. Et creuse encore plus la fracture entre les classes sociales et les communautés.

Keltoum Staali

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