Société

Sortie de « Ma mère en vagues » de Fateh Agrane

Hymne à Yemma associée à la mer et à l’Algérie

Le livre renferme une soixantaine de poèmes, où la mère de l’auteur, Yemma Zoubida, est omniprésente, se confondant à la mer et à ses vagues

Le recueil poétique « Ma mère en vagues » de Fateh Agrane est sorti, cette année, aux éditions Edilivre, en France. Le livre renferme une soixantaine de poèmes, où la mère de l’auteur, Yemma Zoubida, est omniprésente, se confondant à la mer et à ses vagues. Lors de notre rencontre, l’auteur nous a confié qu’il avait sa mère « à travers la gorge », rappelant que cette dernière a été fusillée par l’armée coloniale, en 1958, pendant la Guerre de Libération nationale, alors qu’il n’avait que 4 mois. « Je n’ai aucune photo d’elle. Je l’ai confondue avec chaque belle femme, mais aussi avec l’Algérie et la mer », a-t-il indiqué. Mais pourquoi la mer ? « Ma mère, de son vivant, était du littoral et avait nagé dans cette mer », a répondu Fateh Agrane, en signalant au passage que sa mère avait des yeux couleur d’azur. Dans son poème intitulé « Fragrance de Zoubida », il écrit :
« Les vents se sont tus,
Les silences essaimés
Là où ils se sont battus
Sur la poitrine mère,
Et sein ensanglanté
Sur douceur à refaire
Et honneur que j’ai porté.
Alors chérie écris-le, cri !
Terrible qui ne tremble
Mon cœur ne sera patrie
Que pour celle qui lui ressemble. »
Le fils des maquisards et la transmutation révolutionnaire
Ainsi, dans ses poèmes, il parle de sa mère, qui est à la fois son « azur », sa « belle », son « saphir », sa « lumière », sa « patrie plurielle » et sa fierté. Celle qui n’est plus là, celle qui a pris « des balles au cou/ A la tête et aux joues » et celle qui lui ordonna « à vie/ De rester debout ».
L’auteur aurait tellement aimé se souvenir d’elle, sentir ses mains se poser sur lui « Rugueuses ou de soie » :
« Ô ! Comme j’aurais aimé
Me souvenir
Au moins d’être frappé par toi,
Une seule fois. »
Dans un autre poème, le même regret s’exprime chez Fateh Agrane :
« Ici est ma mère
Dont je n’ai souvenir
Un sein éphémère,
Et une vie pour l’écrire. »
Même s’il n’y a pas de frontières entre la mère et la mer, ce « trésor (qui) gît dans la mer », il reste pour le poète la « pierre » de sa mère, sur laquelle il posera ses lèvres et où il extraira « l’azur de terre » pour supporter son absence :
« Je te viendrai très fier
Dans l’errance,
Faire ta reconnaissance
Ô mère, mon évanescence. »
Dans la préface, l’écrivain et poète Abdelmadjid Kaouah relève avec que Fateh Agrane, qui a aujourd’hui presque l’âge de l’indépendance est actuellement un grand-père tranquille, « toujours fasciné par la mer et la justice ». L’auteur a de qui tenir, précise-t-il, en rappelant que Fateh Agrane a perdu sa mère et son père, tombés au champ d’honneur, un certain 6 mai 1958 à Timizer, commune d’El Aouanne, à Jijel, au nord-est du pays. L’autre information rapportée par le préfacier –et qui n’est pas des moindres-est la suivante : le grand-père paternel de Fateh Agrane est aussi un martyr de la Révolution, fusillé par les militaires français, une semaine avant ses parents. Abdelmadjid Kaouah écrit, par ailleurs, que « le jour où sa mère fut criblée de balles, achevée sur le corps de son père, son grand frère rapporte qu’il était dans ses bras et pleurait… Pour le calmer –sachant que sa mère avait l’habitude de cacher sa sucette dans sa poitrine-, il est allé la chercher sur le cadavre de sa mère, pour la lui donner à téter, tachée du sang de cette dernière ». Depuis ce jour, le « fils de la côte (essahli) qui entretient de ‘’mystérieux liens’’ avec la Méditerranée » vit du « sang » de la regrettée Zoubida. Sur le registre de l’écriture, l’écrivain et poète note chez Fateh Agrane, « une volonté à retrouver le fil (…) avec la tradition orale, dans un alphabet qui emprunte, sans complexe, à une langue intruse mais devenue, comme la qualifie le grand Kateb Yacine, de « tribut de guerre », avant d’ajouter : « Ce fils de maquisards participe de cette transmutation révolutionnaire ».
A l’écoute du pouls de la société…
D’autres avis sont donnés en postface par Fateh Boureboune, auteur, et Fatiha Ould Hocine, poétesse. Pour le premier, la poésie de Fateh Agrane, « aussi mobile que sa pensée », puise dans sa « sensibilité profonde et altière » et dans « la force de son inspiration ». Quant à Fatiha Ould Hocine, elle affirme que « la mère absente s’enroule doucement dans le mouvement des vagues, pour lover en son sein notre poète, le bercer et le déposer délicatement sur une plage de sable doux ». Selon elle, l’auteur « porte la blessure en lui, mais elle se referme lentement avec le temps », en avançant « vers l’avenir, mais riche de son passé ».
Fateh Agrane est poète, il est donc à l’écoute de sa société. C’est pourquoi il témoigne aussi que « Le chant n’est plus haut/ Et le quotidien, lâcheté », que son « soleil s’est rassis/ Moisi,/ Mauvais il sentait ! » L’auteur reste fidèle à Novembre 54 qui vient « Nourrir nos graines/ Cueillir nos saisons » : « Novembre père, novembre mère/ T’ayant soleils dans mains ?/ Peut-on un jour/ Accepter les ténèbres trahisons ? ». De plus, le poète ne s’invite pas, il « arrive » :
« Je sais reconnaître les miens
Dans la douleur
Quand il n’y a rien.
Je ne suis convive,
Mettrai main au pétrin,
Pour que puisse vivre
De notre seul labeur,
Demain ;
Pour je puisse
Toujours m’enivrer,
Du sourire humain
Quand il n’a plus faim. »
Le poète est également à l’écoute de ce qui se passe dans le monde et dans sa région, il ne peut faire preuve d’indifférence devant un « Sahel qu’on pille », un « combat inégal » et des brins de « survie » et de « résistance ». Fateh Agrane n’est que « chemin/ Le cœur, fenêtre/ Ouverte sur demain/ Et rive verte. » Il n’est que « locataire/ Avec plume pour bien », qui ne veut pas que « rêves ne finissent/ Comme cendres de printemps », ni de « la haine/ Qui (l’) a amputé/ D’une mère humaine ».
Le poète Fateh Agrane est libraire de profession à Alger, après avoir mené une carrière de cadre dans des entreprises. Il a même été président du Conseil d’administration d’un quotidien national. « Ma mère en vagues », 130 pages, est le premier recueil poétique qu’il a publié. Bien qu’il ait commencé à écrire très tôt, l’auteur avoue que le travail de libraire lui a facilité les choses, dans le domaine de l’écriture. En effet, il écrit du « chiir el malhoune » (poésie populaire) et a même composé des chansons, notamment pour Réda Doumaz (« Louisette ») et pour le groupe Caméléon (« Anan hbibi ghadwa »). Deux autres recueils de poésie sont en cours de parution en Algérie, l’un intitulé « Points communs » a été déposé à l’Anep et l’autre, « Mes vers en bandoulière », paraîtra aux éditions Ingese. Fateh Agrane travaille également sur un projet de nouvelles, qui porte sur des « portraits de personnages », pendant la Révolution et pendant la décennie noire.

Hafida Ameyar

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