Histoire

Témoignage : Nadia Benrabah l’honnêteté et la probité assassinées

Le 27 février 1995, un 27 éme jour du mois de Ramadhan , mon épouse Nadia a été froidement assassinée devant mes yeux par un groupe de terroristes fortement armés , criant Allah Akbar. Moi même gravement blessé par plusieurs balles, je n’ai pas pu la sauver. Depuis ce fatidique jour ma vie et celle de mes trois enfants a totalement basculé . Je suis en permanence animé par un sentiment d’injustice , cela est d’autant que Nadia était un modèle , dans son métier de juge, de probité et d’honnêteté. Je remercie toutes celles et ceux qui chaque m’exprime leur solidarité et leur compassion à travers les réseaux sociaux. Je reproduis à l’occasion de cette 22 eme commémoration l’hommage qui lui a été rendu l’an dernier par mon ami Bachir Dahak qui l’a longtemps côtoyée en sa qualité d’avocat. Merci de coller cet hommage sur votre page.
Mon cher Djamil Tu sais bien qu’ à chaque fois que le nom de Nadia est évoqué cela me replonge dans la période où, avec quelques avocats, nous avions le sentiment de plaider devant une juge dans le vrai sens du terme , une juge qui savait ce que chaque dossier contenait et qui, dans ses décisions ne faisait parler que le droit. Les avocats corrompus ou influents qui donnaient à leurs clients le verdict avant même de plaider en prenaient toujours pour leur grade avec elle. Elle pouvait acquitter un lampiste à qui on avait prévu de faire porter le chapeau et de condamner un gros bonnet qui toisait tout le monde avec mépris, sans oublier sa mise aux arrêts à l’audience. Je me rappelle de ce jeune milliardaire du fer à béton chez qui on avait retrouvé plusieurs kilos de kif .Flanqué de quatre avocats qui n’avaient pas l’habitude de perdre leurs procès, il s’était évanoui lorsque Nadia lui annonça qu’il risquait la peine maximum . Lorsqu’il reprit ses esprits, dans les couloirs de la Cour d’Appel,elle lui ajouta qu’il aurait mieux fait d’avoir des avocats qui connaissaient un peu de droit au lieu de ces entremetteurs à succès qui faisaient honte au vrais juristes.Elle pouvait aussi être fair play et accepter qu’un jeune avocat lui fasse annuler toute une procédure en mettant en avant un vice de procédure ou en signalant qu’un témoin clé avait été oublié ou , comme souvent à El Harrach , « empêché » de comparaître. L’assassinat de Nadia et des autres magistrats inflexibles et incorruptibles, est pour moi le signal de départ de la déliquescence de l’Etat , de sa descente programmée aux abîmes,de sa clochardisation et de sa livraison à l’appétit insatiable des maffias diverses et variées qui ne voulaient plus supporter quelque contrôle que ce soit . C’était le prix à payer pour que ces nouveaux barons de l’économie informelle (pour ne pas dire maffieuse) accompagnent les officines publiques qui ont régulé et planifié le terrorisme dans l’attente de transformer les rentes publiques en rentes privées. L’assassinat de Nadia et de ses collègues faisait partie de ce plan diabolique consistant à éliminer tout contre-pouvoir ,toute forme de résistance ou d’opposition à la grande redistribution des cartes qui allait forcément se faire à l’ombre du droit et loin de toute légalité.Elle a assisté, comme nous, à l’acquittement scandaleux des tous premiers « bandits du libéralisme » , elle a compris très vite vers quelle dérive nous allions et elle a essayé, avec ses armes et ses convictions républicaines, d’y faire face .Elle ne savait pas que l’hydre avait plusieurs têtes , que les ennemis (internes) du pays étaient déterminés et qu’ils avaient besoin de victimes sacrificielles pour installer durablement une justice bananière, à l’instar des républiques du même acabit . Comme ses aînés qui sont morts pour la liberté , Nadia est morte d’avoir voulu que son pays et son peuple soient fiers de leur justice. Nadia est morte pour avoir exprimé son refus de capituler devant l’indicible vague du déshonneur qui a fini par engloutir tant de ses collègues et qui a , surtout , fini par emporter , loin , très loin, l’idée même de la justice
Djamil Benrabah

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