Politique

URSS, la liquidation : après Gorby, Eltsine

URSS, la liquidation : après Gorby, Eltsine

La sollicitude exceptionnelle manifeste dont a fait l’objet de la part des dirigeants des puissances capitalistes et des milieux financiers internationaux celui qu’ils avaient affectueusement surnommé Gorby, était fondée, dès le départ, sur son ralliement aux concepts de l’économie libérale. Ex-premier ministre de l’URSS durant la deuxième moitié des années 80, Nicolas Ryjkov raconte que Margareth Thatcher a même fait à Gorbatchev l’insigne honneur de le recevoir dans sa résidence personnelle, alors qu‘il n’était pas encore président de l’Union Soviétique tout en n’omettant pas de lui faire remarquer que c’était là un privilège réservé exclusivement aux personnalités de très haut rang. (Entretien accordé à la chaîne satellitaire russe, diffusant en langue arabe, Russia el youm, en février 2010).
Le traitement de faveur que cette institution a réservé au promoteur de la Perestroïka, a été relevé par Mourad Benachenhou, connaisseur intime, en sa qualité d’ex-fonctionnaire de la Banque mondiale, des mécanismes de fonctionnement de cette institution. ( Cf. Mourad Benachenhou, Réforme, dette et démocratie, op. cité, p.42.)
Gorbatchev est l’invité à titre spécial de la réunion du G7 qui se tient à Londres en juillet 1991, en préparation du sommet de la Banque mondiale prévu pour octobre 1991 à Bangkok. Le G7 met, à cette occasion, l’accent sur la nécessité pour les pays riches d’aider l’URSS à réussir ses réformes et demande aux institutions de Bretton Woods de fournir une assistance technique à cet Etat dans le cadre d’un accord d’association spécial, statut que ne prévoient les textes fondamentaux d’aucune de ces institutions, signale Mourad Benachenhou. Sur la base de ces directives, nous apprend encore l’ex-ministre algérien, la Banque mondiale a établi un fonds spécial de 30 millions de dollars d’aide à l’URSS.
La transition pacifique de l’URSS vers une économie de marché plus intégrée au système monétaire international et vers un système politique plus décentralisé, ajoute notre auteur, est un impératif vital pour ses anciens adversaires. Si vital, il faut particulièrement le souligner, que le président Bill Clinton n’hésitera pas à l’exprimer dans les termes les plus clairs et les plus explicites en 1995 : « les dix dernières années de notre politique envers l’URSS, affirme-t-il, ont démontré la justesse de nos prises de position visant à écarter l’une des plus grands puissances du monde… Nous avons réussi ce que s’apprêtait à faire le président Truman à l’aide de la bombe atomique. A une différence près : nous avons gagné une réserve de matières premières. Oui, nous avons dépensé pour cela des milliards de dollars mais dès aujourd’hui nous sommes pratiquement rentrés dans nos fonds»[1].
En été 1991, un « groupe de travail commun» dont le président du côté russe était le libéral Grigori Yavlinski qui a participé à l’élaboration du programme des réformes économiques, dit « 500 jours », présenté à Boris Eltsine et censé faire passer la Russie à l’économie capitaliste en 500 jours, a présenté à la commission sénatoriale pour les relations extérieures des Etats-Unis un plan de réformes intitulé «une fenêtre d’opportunité ». C’était le programme de « transition de l’Union Soviétique vers une démocratie à économie de marché ». Le programme réclamait pour sa mise en œuvre de 60 à 250 milliards de dollars. La transition russe, selon Boris Eltsine : « Le système avait besoin d’être renversé et pas seulement changé. J’ai réalisé que la transition ne pouvait pas se faire sans douleur. Cela voulait dire que des mesures impopulaires étaient nécessaires. Tout cela impliquait de choisir une équipe de kamikazes qui aurait foncé sur la ligne de front et fait une percée, quel que soit le mécontentement que cela allait engendrer. Pour remplir ce boulot, il fallait des gens neufs. J’ai choisi spécialement des gens avec une expérience soviétique minimale ; des gens sans barrières idéologiques ou mentales ; des gens, qui pour atteindre leurs buts, utilisaient des arguments, des faits et des schémas, et pas les méthodes administratives habituelles, des gens jeunes érudits et talentueux. Personne d’autre n’aurait pu faire ce boulot
(Cf. Moscow News, n° 41, octobre 2003, interview de Boris Eltsine : « On a ouvert une brèche. », in Les économistes dans le champ politique des années 1990 en Russie. Caroline Dufy, http://dev.ulb.ac.be/cevipol/dossierfichiers/dufy)

Cette « fenêtre d’opportunité » a été judicieusement mise à profit par l’ancien adversaire US Le Congrès américain a décidé qu’il fallait « aider » l’ex-Union soviétique à élaborer et mettre en place les programmes de la « période de transition » mais seulement sous forme de crédits commerciaux. Afin de garantir ces crédits, le gouvernement de Tchernomyrdine a confié aux Etats-Unis et à l’Union Européenne les réserves en devises de son pays. Ce fait, à lui seul, témoigne, de manière spectaculaire, de l’ampleur extraordinaire des renversements qui viennent de bouleverser de fond en comble les rapports de force géopolitiques à l’échelle de la planète entière.
Un marché vaste aux immenses opportunités de gains multiformes, jusque là inespérées, s’ouvre brusquement à l’Est de l’Europe. Avec l’élargissement de l’UE, se constitue, ainsi, la plus grande zone de libre-échange de produits industriels du monde. L’Europe de l’Est représente un marché de plus de 350 millions d’habitants qui pèse pas moins de 150 milliards de dollars équivalant au montant des importations de cette zone avec, en prime, des atouts structurels et des conditions de profit nettement plus attractifs que ceux pouvant être offerts par les pays en développement, l’Algérie notamment : outre la proximité culturelle, politique et géographique, forte tradition industrielle, main d’œuvre bon marché, éduquée et adéquatement formée, professionnellement qualifiée et même très hautement qualifiée, acquisition de secteurs-clés chimie, ingénierie, production à moindre coût d’équipements, marchés en expansion, filiales à vocation commerciale pour répondre à une demande en biens de consommation en pleine expansion, commerce de gros et de détail, endettement faible et donc moindres risques financiers. Pour les Etats-Unis, l’Europe de l’Est est vue comme une tête de pont pour exporter vers l’UE et pour celle-ci, c’est un tremplin vers l’Asie. La domination du système capitaliste sur le monde s’exerce désormais sans partage.

Abdelatif Rebah.

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