Politique

Visite de Raul Castro en Algérie. Cuba : Une intelligence tranquille malgré l’embargo

Cuba : Une intelligence tranquille malgré l’embargo

« Argelia con Cuba dos pueblos hermanos »
Fidel Castro (16 mai 1972, Alger)

Une île singulière dont le combat épique avait bercé les imaginaires dans les années 60. Nous retiendrons l’image des « Barbudos » de Fidel Castro s’écriant devant Boumediène lors d’une de ses visites : « Argelia con Cuba dos pueblos hermanos. » Petit rappel sur cette île mythique : l’indépendance de Cuba s’est faite le 10 octobre 1868. La Révolution cubaine date du 1er janvier 1959. Son indicateur du développement humain qui croise plusieurs facteurs, santé, éducation, niveau de vie (IDH 2005), est l’un des plus élevés : 0,838. Sa population de 11.423.952 habitants en 2008. L’espérance de vie est de 78 ans, une des plus importantes au monde.(1)
La République de Cuba est formée de l’île de Cuba (la plus grande île des Grandes Antilles), de l’île de la Jeunesse et de quelques autres petites îles. Sa capitale est La Havane, sa langue officielle l’espagnol et deux monnaies y sont utilisées : le peso cubain et le peso cubain convertible. L’île a été une colonie espagnole de 1492 à 1898. Les Espagnols y ont décimé les tribus indiennes et importé des esclaves africains. La culture cubaine résulte du mélange entre les cultures espagnole et africaine. Cuba possède un rayonnement culturel assez important. Depuis 1959, Cuba est une République socialiste.(2)

Avant l’arrivée des conquistadors, Cuba était peuplée d’Amérindiens : les Siboney étaient des chasseurs et des pêcheurs qui ont laissé de belles peintures rupestres, plus de 200 dans les grottes de Punta del Este sur la Isla de la Juventud. Les Taino vivaient de la culture et de la chasse. L’Espagne conquit l’île au cours du XVIe siècle après sa découverte par Christophe Colomb le 28 octobre 1492. La domination espagnole durera 1868. Malgré les efforts du prêtre dominicain Bartolomé de las Casas, la population indienne payera un lourd tribut : elle sera pratiquement décimée en quelques années. Les conquistadors décident de faire de Cuba leur plaque tournante vers le continent et l’utilisent comme escale pour les navires chargés des richesses du Nouveau Monde à destination de l’Espagne.
Ce fut le fameux commerce triangulaire mis en place par les Européens. De 1792 à 1860, on introduit à Cuba plus de sept-cent-vingt mille esclaves, plus qu’au cours des deux siècles précédents. C’est seulement en 1886 que fut supprimé l’esclavage. Les luttes pour l’indépendance remontent au milieu du XIXe siècle avec la guerre des Dix ans qui débuta en 1868. Les États-Unis intervinrent dans la guerre d’indépendance cubaine, qui avait fait 200.000 morts depuis 1895 (soit 1/8 de la population), pour aider les indépendantistes et occupèrent l’île de 1898 à 1902, puis de 1905 à 1909.
Fidel Castro prit la tête d’une armée de révolutionnaires en 1956, renversant le dictateur Fulgencio Batista le 1er janvier 1959. Il est aidé par Ernesto Che Guevara qui deviendra une légende. Il dirige Cuba jusqu’au 31 juillet 2006 puis c’est son frère Raúl Castro Ruz qui, après avoir assuré l’intérim du pouvoir, est élu le 24 février 2008 président du Conseil d’État et du Conseil des ministres par l’Assemblée nationale.

Les États-Unis sont l’une des premières nations à reconnaître diplomatiquement ce nouveau gouvernement, mais les rapports entre les deux pays se gâtent dès le mois de mai lors de la nationalisation des avoirs étrangers (dont ceux de United Fruit Co) à Cuba. Par la suite, du 17 au 19 avril 1961 eut lieu une tentative de débarquement à la Baie des Cochons de 1400 réfugiés, recrutés, payés et entraînés par la CIA américaine, qui se solda par un échec. Les États-Unis mirent en place un embargo économique en 1962, mais renoncèrent à toute invasion de Cuba. Le pays fut longtemps soutenu par l’URSS qui lui accordait une aide.
L’enseignement est gratuit à tous les niveaux. Avant la révolution cubaine, le taux d’alphabétisation à Cuba, était déjà de 78%, alors que la moyenne mondiale était de 44%. Selon le PNUD, Cuba se situe au troisième rang mondial avec un taux d’alphabétisation de 99,8% aujourd’hui, à égalité avec l’Estonie et devant les États-Unis (93,3%). La plus ancienne université du pays est celle de La Havane fondée en 1728.
Cuba est également connue pour sa médecine et son éducation gratuites. Beaucoup d’étrangers viennent s’y faire soigner. Tous les hôpitaux ainsi que les traitements sont gratuits. Les Cubains sont aussi très avancés dans le domaine de la biotechnologie. Dès 1963, des médecins cubains ont été envoyés en Algérie. Cuba offrit aux enfants victimes de la catastrophe de Tchernobyl des soins gratuits. Dès 1990 Cuba a réussi à former plus de 78.000 médecins et à aider une centaine de pays. Plus de 20.000 médecins cubains sont à l’étranger, particulièrement au Venezuela qui en accueille 14.000. Cuba est un des six pays au monde produisant une protéine nommée interferon (INF). En 2004, le président Fidel Castro a lancé une vaste campagne humanitaire continentale portant le nom d’Opération Miracle. Près de 600.000 personnes de 28 pays, y compris des citoyens américains, ont retrouvé la vue grâce à l’altruisme des médecins cubains. L’élection d’Evo Morales en Bolivie permit aux Boliviens d’accéder au programme humanitaire lancé par Cuba. Ironie de l’histoire, quarante ans après la mort du Che, son exécuteur, le sergent bolivien Mario Terán qui a assassiné sur ordre de ses supérieurs Che Guevara, a pu se faire opérer par des médecins cubains dans un hôpital offert par Cuba à la Bolivie d’Evo Morales.(3)
Le sergent a lui-même raconté à la presse plus tard qu’il tremblait comme une feuille lorsqu’il s’est retrouvé face à cet homme qu’il a vu à ce moment-là « grand, très grand, immense ». Le Che, blessé, assis sur un banc de la modeste école, le voyant hésitant et effrayé, a eu le courage qui manquait à son assassin : il a ouvert sa chemise kaki élimée, découvert sa poitrine et lui a crié : « Ne tremble plus et tire ici, car tu vas tuer un homme. »(4)
L’île produit du tabac (plus ou moins 300 millions de cigares par an ainsi qu’une bonne douzaine de milliards de cigarettes brunes ou blondes), du café et de la canne à sucre. Il semble que l’on ait cultivé, dès 1523, la canne à Cuba. En 1620, Cuba produisait 550 tonnes ; en 1987, plus de 7 millions. Cuba est devenue le premier exportateur mondial de canne à sucre. Face à la crise économique, Cuba libéralisa un peu son économie, le développement d’entreprises privées. Le tourisme fut aussi encouragé. En 1996, l’activité touristique représentait plus que la culture de la canne à sucre en termes de devises. L’essentiel des touristes venant du Canada ou de l’Union européenne, a généré 2,1 milliards de dollars de revenus en 2003

L’embargo des États-Unis contre Cuba (el bloqueo : « le blocus »), mis en place le 7 février 1962, est toujours en place, faisant de lui le plus long embargo commercial de l’histoire moderne. Il ne porte toutefois plus sur les médicaments, les matériels de télécommunications et les produits agro-alimentaires, faisant des États-Unis le premier exportateur pour l’économie cubaine : le montant des exportations américaines vers l’île s’élève aujourd’hui à 500 millions de dollars par an. En 2008, entre 35 à 45% des importations alimentaires à Cuba viennent des Etats-Unis. Les États-Unis sont le troisième fournisseur de Cuba avec 11% des importations en 2006. En 1998, le président américain Bill Clinton déclara que Cuba n’était plus une menace pour les États-Unis et assouplit l’embargo. Depuis 2001, suite à l’allègement de l’embargo, les sociétés américaines peuvent vendre certains produits agroalimentaires et des médicaments à Cuba. Le gouvernement américain a autorisé la mise en vente aux États-Unis de deux vaccins élaborés à Cuba, devenue un grand exportateur de médicaments génériques.
Le gouvernement cubain a salué l’élection de Barack Obama. Il espère aujourd’hui un changement dans la politique étrangère américaine et a même déclaré que tout allègement de l’embargo serait « le bienvenu ». Le nouveau président américain, a une image positive chez la plupart des Cubains. Au cours de sa campagne, Obama s’est engagé à lever les restrictions de circulation de sorte que les Cubano-Américains puissent rendre visite à leurs familles à Cuba. Obama a également promis d’éliminer les obstacles sur les transferts de fonds afin que les individus puissent envoyer de l’argent à leurs familles. Obama a déclaré qu’il était prêt à engager des pourparlers diplomatiques directs avec le gouvernement cubain, sans conditions préalables. Avec la relève des générations, la très riche et influente communauté cubaine de Floride (un million et demi de personnes détenant plus de 40% de l’économie de l’État) se montre, elle aussi, plus pragmatique. Adepte de la realpolitik et soumis à des contraintes économiques, Raul Castro s’est dit prêt à négocier, d’égal à égal avec le nouveau président américain.(5)
Le président cubain Raul Castro a entamé samedi une visite de trois jours en Algérie Les deux pays ont entretenu des liens étroits au sein du Mouvement des Non-alignés. L’ancien président cubain Fidel Castro, frère de Raul, s’est rendu à sept reprises en Algérie. Sa dernière visite remonte à 2001. « L’Algérie et Cuba sont restées côte-à-côte pendant un demi-siècle, à la pointe du combat pour la liberté », écrit El Moudjahid. Alger et La Havane sont convenus, en 2001, d’échanger du pétrole et des produits pétroliers algériens contre des médicaments, des machines et du sucre cubains, mais le volume de leurs échanges reste limité. Nous avons en tête son fameux discours du 16 mai 1972, où il détaille toutes les réalisations que lui a fait visiter Boumediène.

Ecoutons-le : « Hace ocho días llegamos a vuestro país. visitamos los experimentos agrícolas, visitamos la región petrolera de Hassi-Messaoud, visitamos la ciudad de Orán, el complejo petroquímico de Arzew. Hemos visto las nuevas industrias comenzando a funcionar, la fábrica de fertilizantes nitrogenados, la fábrica de licuefacción. Hemos visto cómo se construye rápidamente la nueva refinería de Arzew, las plantas recuperadoras de gas, las terminales para el embarque de petróleo y de gas. Visitamos incluso la base recuperada de Mers-EI-Kebir. Después visitamos Constantine, la fábrica de tractores y de la industria mecánica que producirá 5000 tractores anualmente y 10.000 motores de camiones. Visitamos la heroica región de Skikda y el complejo petroquímico que allí se construye. Participamos en la inauguración del gasoducto y el oleoducto de Hassi-R’Mel y Mesdar-Skikda. Visitamos la nueva siderurgia de EI-Hadjal, en Annaba, con la acería que ahora entra en producción. Visitamos por último el complejo de fertilizantes de Annaba… » C’est limpide, belle époque ! où l’Algérie avait en main son destin malgré un encadrement dérisoire par rapport à la quantité de diplômés actuelle.
« Si le nom de Cuba, écrit Nordine Grim, se confond souvent avec son leader charismatique Fidel Castro ou avec la production de sucre, l’ambassadeur cubain en Algérie, Roberto Blanco Dominguez, nous fait découvrir dans cet entretien un pays doté d’une économie largement diversifiée comme les services, le tourisme, la production des médicaments et l’industrie du bâtiment. Mais Cuba, c’est aussi une relation bilatérale légendaire avec l’Algérie dont l’accord remonte au 13 octobre 1962. »
« Contrairement à ce qu’on pourrait croire, déclare Roberto Blanco Domingez, (..) l’économie cubaine avance et se consolide chaque année davantage. L’économie cubaine est aujourd’hui basée sur l’exploitation de services tels que le tourisme. Il est bon de savoir que Cuba a reçu cette année plus de 10 millions de touristes étrangers. Outre la production de liqueurs de qualité, Cuba est également devenue un grand producteur de médicaments génériques et de vaccins dont une grande partie est exportée. L’industrie du bâtiment et des matériaux de construction se modernise dans l’objectif de prendre en charge un programme quinquennal de construction d’un million de logements. Cuba est également en train de diversifier son agriculture dans le but d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, même si la canne à sucre et le tabac destinés à l’exportation continuent de bénéficier d’une attention particulière. Notre pays, qui n’a pas de pétrole, utilise de plus en plus les biocarburants tirés de la canne à sucre. Près de 50% de ses besoins énergétiques proviennent des biocarburants. Je n’oublierai pas le know how, notamment dans les domaines des technologies de l’information et de la communication. Cuba produit aujourd’hui elle-même les logiciels dont le pays a besoin. Tout cela pour vous prouver que l’économie cubaine est largement diversifiée et qu’elle enregistre d’importantes avancées dans de nombreux domaines.(…). Nous sommes en train de construire en Algérie quatre hôpitaux ophtalmologiques qui seront implantés dans le Sud et les Hauts Plateaux. La coopération de Cuba est également présente dans le secteur sportif avec la mise à disposition d’entraîneurs et de médecins au profit des équipes sportives nationales. »(6)
Cuba, à n’en point douter, donne, malgré les détracteurs de tout poil, de RSF, et des ONG prompts à relever des « anomalies » sur les droits humains et regardent naturellement ailleurs quand les Cubains souffrent au quotidien d’un embargo qui, bien qu’assoupli, demeure toujours inhumain, l’image d’une nation qui prend en main son destin à partir de rien. Le manque d’énergie les a amenés à valoriser tous les déchets et produire une essence de qualité acceptable. Pour pouvoir être avec l’Inde, la seule nation au monde à concurrencer le Nord dans le domaine, vous conforte dans le fait que le savoir n’est pas indexé sur l’argent. Certes, il serait naïf de croire que tout est rose. Mais à quoi sert la liberté mise en exergue si on ne peut pas nourrir le peuple, lui donner du travail, l’instruire, le soigner, en faire des champions du monde tels que Sotomayor qui est l’homme ayant sauté le premier 2,40m ou encore les boxeurs qui ont porté la boxe cubaine sur les plus hautes marches des podiums. Puissions les pays du Sud, notamment les pays rentiers prendre exemple sur Cuba et arriver à créer de la richesse indépendamment du farniente trompeur de la rente.
1.Human Development Report 2007/2008-United Nations Development Programme.
2.Cuba : Encyclopédie libre Wikipédia
3.C.E. Chitour Commandanté Che Guevara :.http://www.millebabords.org/spip.php?article6889
4.H.Arturo Granma Che vuelve a ganar otro combate http://www.granma.cubaweb.cu/ 2007/09/29
5.Arielle Thedrel Obama est prêt à alléger l’embargo contre Cuba lefigaro.fr 2009/01/20
6.Roberto Blanco Dominguez. Ambassadeur de Cuba en Algérie : N.Grim El Watan 8.01.2008

Pr Chems Eddine CHITOUR
Ecole Polytechnique Ager

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