Société

JE SUIS HEUREUX

J’ai décidé d’écrire ce texte après avoir lu tellement de textes noirs où nulle lumière n’est perceptible. Tout serait noir, comme s’il n’y avait aucune possibilité d’espérer.

JE SUIS HEUREUX
Je ne sais pourquoi mais je crois que je suis un homme heureux, comblé, je ne sais pas ce que veut dire le bonheur, mais paradoxalement, je suis heureux, je me lève tous les matins, avec l’intention, l’unique intention de pouvoir soutenir ceux qui n’ont pas la possibilité de tenir debout, je n’ai peur de rien et de personne, j’ai néanmoins peur de me tromper, et il m’arrive de me tromper. C’est tout à fait normal, je suis un simple être humain, mais qui refuse de marchander sa dignité et sa liberté. J’ai appris à être fidèle à mes amitiés virtuelles et à mes compagnonnages quotidiens, je ne sais pas mais j’ai toujours été nourri des bribes d’Ibn Khaldoun (El Mouqaddima), d’Ibn Rochd, de Bourdieu, de Mroua, de Neruda, de Sartre et d’autres qui m’ont appris des choses simples, croire au bonheur et à ce changement inéluctable. Oui, contrairement à ceux qui n’arrêtent pas de tordre le coup aux espérances, je crois aux lendemains qui chantent, aux rêves éternels, aussi beaux que « ce soleil d’un printemps à vivre » (Aragon), à ces mains tendues de travailleurs qui, même parfois brisées, construisent un avenir fait de la peine des « petites gens », de ces gens simples que le Capital voudrait en faire d’éternels vassaux et de ce désir de pétrir la pâte sans avoir besoin de pétrin pour fabriquer un pain à distribuer à la multitude réfractaire à ces semeurs de morts qui ne cessent de vouloir gagner le plus d’argent en mettant fin à toutes ces conquêtes sociales faites de la sueur de ces millions de gens qui font l’Histoire. Oui, je suis heureux, même quand je reçois des coups, parfois terribles, je me dis toujours que la cruauté est l’arme des faibles et que j’ai de l’espoir, pour reprendre les mots de Nazim Hikmet, à faire crever de rage ces ennemis de la vie. Je me souviens toujours de mes positions dans les journaux dans lesquels j’ai exercé ou à l’université aujourd’hui, jamais, je n’ai cessé de chercher à apporter quelque chose, à travailler dur et à refuser quelque complaisance. Je suis heureux parce que dans ma vie j’ai connu des gens merveilleux qui rêvaient ou qui rêvent toujours de construire quelque chose, moi aussi, j’essaie de le faire pour ceux qui ont besoin de ma parole, de mon soutien, pas pour ceux qui n’attendent rien d’autre, chefs d’un instant hypothétique, condamnés à une défaite certaine. J’évite les indifférents, les nihilistes, ceux qui, par frousse ou par mauvais calcul, considèrent que tout est mise en scène et que tout est obscur, et ceux qui conjuguent le découragement, la désillusion au temps de la démission et de l’abandon. Je ne peux supporter ceux qui estiment que rien n’a été réalisé et que dans ce pays, tous sont sans culture, ni avenir. J’aime ceux qui aiment tout court, ceux qui n’ont pas honte de construire de petites choses qui, combinées, deviendront grandes. Je sais que ça va aller, oui, je sais aussi qu’avant, il y aura des tuiles qui me/nous tomberont sur la tête. L’espoir est beau, magnifiquement beau, drapé des plus beaux sourires de ces amis qui tendent la main à d’autres amis, ici et ailleurs. Je ne peux ne pas rêver, ni d’arrêter de rêver à un changement possible quand j’ai eu et j’ai cette chance de connaitre des gens qui, malgré toutes les pressions et les tempêtes, ont continué à rêver. Ce serait une trahison que de changer de cap, une trahison de ces gens-poésie que sont Alloula, Kateb Yacine, Mimouni, Boudia, Lacheraf et bien d’autres qui ont tenté de construire quelque chose. Je suis heureux parce que ce n’est pas vrai que les intellectuels sont silencieux ou ont trahi quelque cause perdue d’avance. N’est pas intellectuel qui veut. Etre universitaire, artiste ou membre d’une profession libérale n’est pas du tout une voie nécessaire pour être intellectuel, vous pourriez, à la limite être un technicien du savoir. Un intellectuel est, pour reprendre, Visconti, un producteur de savoir (s) et d’idées. Ou comme me l’a dit un jour, un homme-tronc, Pierre Bourdieu, un professeur, un intellectuel, c’est surtout celui qui marche et qui aide les autres à marcher, qui interroge et qui partage son(ses) savoir(s). Le bonheur est tout près, je suis heureux parce que je crois avoir la famille et les enfants les plus beaux de la terre, je les aime parce que déjà ils aiment Nazim Hikmet et Pablo Neruda. Ces deux poètes m’ont toujours accompagné, m’accompagnent toujours, je ne sais pas, mais je suis heureux quand j’apporte une information à des étudiants, des élèves, des jeunes. Je ne sais combien de fois, j’ai décidé de partir à l’étranger, de quitter mes lecteurs et mes étudiants, mais je ne l’ai pas fait parce qu’il y a quelque chose en moi qui m’en empêche, chaque fois, je reste, même si les tracas, je les vis au quotidien, mais paradoxalement, ils m’aident dans ma volonté de rester. Mon bonheur, c’est de saluer l’appariteur du coin, de donner de l’espoir à un étudiant, d’inciter ma fille ou mes fils à lire davantage, je ne sais comment, sans leur en parler, les trois apprécient énormément le fils d’un ami que j’ai connu enfant, Amazigh Kateb, Mahmoud Darwish, Pablo Neruda et Nazim Hikmet, c’est aussi de découvrir un bon auteur ou un film qui en vaut la peine d’être vu, c’est, bien entendu, de parler de théâtre, de littérature, de cinéma, de Brecht et de Godart. Il s’agit surtout de tenir bon, de ne pas abandonner et de dire sa vérité, d’aimer sa patrie qui est mienne, pas la leur.
C’est pour toutes ces raisons que le sourire ne cesse de m’accompagner, JE SUIS HEUREUX.

Ahmed Cheniki

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