Politique

le « deal du siècle » passera-t-il ? Par Mohsen Mohammed Saleh

Peu importe que l’emballage d’un article soit attrayant ou intéressant, un article pourri est un article pourri ! Plusieurs rapports ont été publiés ces jours-ci sur le « deal du siècle », bien que l’administration états-unienne n’ait jusqu’à présent présenté aucune vision claire et officielle de l’accord présumé, et bien qu’elle soit la partie principalement concernée, selon la plupart des milieux politiques et médiatiques !!

Analyse politique : le « deal du siècle » passera-t-il ?

Est-ce le résultat d’une « ambiguïté constructive » destinée à attirer davantage d’attention ? Est-ce que les éléments fuités sont des « ballons tests » pour sonder les réactions possibles et préparer des mesures appropriées pour les aborder ? Ou les fuites sont-elles destinées à préparer le paysage pour recevoir le « nouveau-né » ?!
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Quoi qu’il en soit, si ce qui a été divulgué sur le « Deal du Siècle » est vrai, alors nous n’y voyons pas une proposition historique offrant des solutions réelles ou acceptables pour les parties en conflit avec Israël, mais nous sommes en face d’une nouvelle tentative de liquidation de la question palestinienne. Par conséquent, ce n’est pas un « accord » entre deux bords, mais l’expression du pouvoir arrogant américano-israélien et une tentative d’imposer la volonté de l’occupation israélienne, ses conditions et ses conceptions pour mettre fin à la cause palestinienne. Peu importe la nature des petits détails, le sort de ce genre d’ « accord », peu importe combien ses éléments sont survendus, est de finir dans les poubelles de l’histoire, et non de convenir jusqu’à être « vendu et conclu ».

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Peu de gens savent que le terme « Deal du Siècle » n’est pas nouveau. En 2006, il a été utilisé pour décrire une offre du Premier ministre Ehud Olmert, ou les soi-disant Accords Olmert-‘Abbas, et ce qui a été divulgué à l’époque suggérait qu’il s’agissait d’ententes conditionnelles en attendant les résultats des élections israéliennes, qui se sont soldées par la défaite d’Olmert.

Une partie de ce qui a été colporté ces jours-ci sur le « Deal du Siècle » rappelle les propositions de l’ancien chef du Conseil de la sécurité nationale d’Israël Giora Eiland en 2010, lorsqu’il a décrit les deux solutions possibles à la question palestinienne :

– Premièrement
Une fédération jordano-palestinienne en créant « un royaume jordanien qui comprenne trois Etats : la rive droite [du Jourdain, soit la Jordanie, ndt], la rive gauche [du Jourdain, soit la Cisjordanie , ndt] et Gaza. »

– Deuxièmement
Un échange territorial : cette offre verrait l’Egypte transférer 720 km² de la Péninsule du Sinaï à un futur Etat palestinien. Ce territoire est un rectangle construit à partir d’une côte de 24 km de long de la côte méditerranéenne, de Rafah en direction de l’ouest vers Al-Arish (mais excluant Al-Arish) et une côte de 30 km de long. Cela équivaudrait à 12% de la Cisjordanie , qu’Israël veut annexer dans le cadre des arrangements finaux. En échange, l’Egypte se verrait attribuer par Israël un territoire équivalant dans le sud-ouest du Néguev (c’est-à-dire les territoires palestiniens occupés en 1948) à Wadi Feiran (Paran) et serait autorisée à construire un tunnel de 10 km vers la Jordanie sous souveraineté égyptienne. La construction d’une voie ferrée serait également autorisée le long d’une autoroute et un oléoduc avec taxes égyptiennes imposées sur « tout le trafic en provenance de Jordanie, d’Iraq et du Golfe vers le port de Gaza, » ainsi qu’une aide économique internationale au Caire…

Conformément à ce plan, les Palestiniens pourraient s’installer dans les zones du Sinaï qui seraient annexées à la Bande de Gaza, et ils seraient autorisés à construire un aéroport international et un port maritime. La Jordanie bénéficierait du projet grâce au port de Gaza sur la Méditerranée servant de transit aux marchandises européennes importées par la Bande de Gaza et exportées vers le Golfe et l’Iraq. La Jordanie serait également autorisée à rapatrier 70.000 réfugiés de la Bande de Gaza vers la « Bande étendue. » D’un autre côté, Israël annexerait toutes les colonies de Cisjordanie et tout ce qui se trouve à l’intérieur du Mur de séparation.

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Lors de la réunion secrète tenue le 21.02.2016 pendant le mandat d’Obama, révélée par le journal israélien Ha’aretz un an plus tard (29.02.2017), Netanyahou, Kerry, Sissi et le roi ‘Abdullah II ont discuté « de nouvelles idées » pour un « accord de paix final ». Les idées débattues incluaient un « Etat palestinien basé sur les frontières de 1967, avec des échanges de territoire convenus, » tandis que la solution à la question des réfugiés palestiniens « n’influencera pas le caractère fondamental d’Israël. » Comme pour les autres pays arabes, la fin du conflit et des revendications « permettra une normalisation des liens et une sécurité régionale accrue pour tous. » Après cela, Netanyahou a semblé peu soucieux de suivre la voie et les engagements du processus de paix. Fait intéressant, l’Autorité palestinienne, malgré sa profonde implication dans cette voie et bien qu’elle soit la principale partie concernée, était absente puisqu’elle n’avait pas été invitée à la réunion.

Cependant, le 14.02.2017, The Times of Israël a mentionné que le ministre Ayoub Karaa avait annoncé que Netanyahou et le président Trump discuterait d’un plan pour établir un Etat palestinien à Gaza et dans la Péninsule du Sinaï, et non en Cisjordanie , relançant une idée rejetée depuis longtemps par la communauté internationale. Kara a dit que les deux hommes politiques soutiendraient une proposition qui aurait été présentée par le président égyptien Abdel-Fattah el-Sissi, une proposition égyptienne de 2014 visant à réinstaller les réfugiés palestiniens sur une vaste étendue de terre dans la Péninsule du Sinaï, à annexer à la Bande de Gaza.

Le 20.09.2017, The Washington Times a cité Mahmoud ‘Abbas, suite à une réunion avec Donald Trump à New-York. Il aurait dit que l’accord de paix sur lequel les Etats-Unis travaillaient serait « le deal du siècle ». « Il a dit que les négociateurs de l’administration Trump, dont le conseiller principal de la Maison Blanche Jared Kushner et l’envoyé spécial Jason Greenblatt, avaient rencontré les Palestiniens plus de 20 fois en huit mois. »

Kushner et Greenblatt ont ensuite fait des visites successives dans la région, notamment en Egypte, en Arabie saoudite, en Jordanie et aux Emirats Arabes Unis, ainsi que dans les territoires palestiniens et en Israël, pour préparer le projet de règlement pacifique. Ahmad Majdalani, membre du Comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), a fait remarquer le 09.01.2018 que les objectifs des propositions relatives au soi-disant « deal du siècle » étaient de liquider la question palestinienne. Il a suggéré que les propositions avaient été communiquées à la partie palestinienne via l’Arabie Saoudite.

Indépendamment de la substance du projet américain, suivre les développements indique que quelque chose est « cuit » dans ce contexte. De plus, la commercialisation américaine de l’accord pousse à normaliser les liens entre les pays du Golfe (Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis et Bahreïn) et Israël avant d’arriver à une solution finale avec les dirigeants de l’OLP et de l’AP, en échange d’une alliance de ces pays contre l’Iran et l’ « extrémisme » tout en fermant les yeux sur les manigances liées à la politique intérieure de l’Arabie Saoudite.

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Il semble que le « Deal du Siècle » vanté maintenant ne soit pas très différent des idées de Giora Eiland. Cet accord parle d’une longue étape de « restauration de la confiance » au cours de laquelle la sécurité serait renforcée et la résistance palestinienne serait désarmée, en particulier dans la Bande de Gaza. L’accord inclut ensuite la création d’un Etat palestinien intérimaire qui mènerait des négociations qui pourraient durer une décennie entière, au cours desquelles les pays de la région rejoindraient le projet du processus de paix, de la normalisation et de la collaboration avec Israël dans tous les domaines axés sur la « sécurité » (c’est-à-dire la sécurité d’Israël et des régimes au détriment des orientations en faveur du changement, de la relance et de la résistance). Ce serait suivi d’une phase d’échange de terres, où l’OLP et l’AP cèderaient jusqu’à 12% de la Cisjordanie , dont les blocs de colonies et les zones de la Vallée du Jourdain, et mettraient en œuvre les propositions de Giora Eiland concernant la Bande de Gaza et le Sinaï… De plus, les garanties de sécurité pour Israël (sur terre, mer et air) invalideraient la souveraineté du supposé « l’Etat palestinien » sur son propre territoire. L’Accord ignore Jérusalem et le droit au retour des réfugiés palestiniens. En d’autres termes, le Deal offre une extension de l’autonomie ad hoc de l’AP, et non un Etat ou la libération.

C’est donc un projet de liquidation selon les termes et conditions d’Israël.

Peut-être que la décision de Trump de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem était une indication que la mise en œuvre du « Deal du Siècle » a commencé à imposer un fait accompli. Cela a également été confirmé par l’envoyé de paix américain Jason Greenblatt, qui – selon l’agence de presse et d’information palestinienne (WAFA), le 05.02.2018 – a déclaré que « les Palestiniens, à ses yeux, ne font pas partie du processus politique pas plus que leur opinion ne m’intéresse, » ajoutant que « le projet, qui a été rédigé par Israël et adopté par l’administration états-unienne dépasse les Palestiniens et favorise les relations avec les acteurs régionaux tout en écartant le facteur palestinien des efforts pour résoudre le conflit tout en essayant de rapprocher Israël de certains pays de la région sous le label de la ‘menace iranienne’. »

En outre, les réactions arabes, islamiques et internationales n’ont pas dépassé ce à quoi s’attendaient les Américains et les Israéliens. Il était clair que les pays arabes concernés et actifs chercheraient à publier les positions habituelles tout en travaillant à contenir les réactions populaires et à modérer la rhétorique médiatique, en évitant tout sauf le strict minimum d’évocation de la question sans aucune mesure pratique pour affronter la décision US. Fait intéressant, il y eut des fuites impliquant un officier du renseignement égyptien qui a donné des instructions à d’éminents journalistes en Egypte pour qu’ils modèrent et amortissent la situation, et empêchent les forces de la résistance de mobiliser du soutien dans les rues… Autre ait intéressant, le sermon du vendredi à La Mecque en Arabie Saoudite après l’affaire Jérusalem s’est concentré sur le bon traitement des parents et a évité tout discours sur l’une des décisions les plus dangereuses affectant la nation panislamique. Les pays arabes qui entretiennent des relations avec Israël n’ont pas rappelé leurs ambassadeurs en Israël, ni réduit leurs liens, ni pris des mesures punitives contre Israël.

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Il ne semble pas que les responsables du « projet sioniste » et les Américains trouveront un meilleur moment que maintenant pour tenter d’imposer leur vision du processus de paix. Il y a la division et la faiblesse palestiniennes, et la fragmentation arabe et islamique. Des régimes corrompus et tyranniques contrôlent les pays de la région qui entourent la Palestine, en proie à des conflits et des troubles, au milieu de tentatives de partition confessionnelle et ethnique par la force, qui détourne l’attention du conflit loin d’Israël.

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Je pense cependant que ce « deal » ne passera pas. Jusqu’à présent, il n’y a pas un seul Palestinien (même ceux qui soutiennent le processus de paix) qui accepte un tel accord, et le maximum qu’Israël est prêt à offrir est inférieur au minimum que les Palestiniens peuvent accepter. Tant que le peuple palestinien est la principale partie concernée, Israël et les Etats-unis ne peuvent lui imposer leur volonté. Ce peuple, qui a déjoué des dizaines de projets au cours des 70 dernières années, peut sans aucun doute contrecarrer cet « accord ». Même en supposant que quelqu’un qui prétend représenter les Palestiniens l’accepte, la question palestinienne, avec ses dimensions arabes et islamiques, ne peut être liquidée, et il y aura toujours quelqu’un pour la défendre, se battre pour elle et faire échouer les plans pour la liquider.

L’influence israélienne majeure est un phénomène exceptionnel et temporaire dans l’histoire de la Palestine, et elle ne sera pas éternellement forte car nous (Palestiniens, arabes et musulmans) ne seront pas toujours faibles.

Le contexte stratégique entourant la Palestine qui a été balayé par le changement révolutionnaire il y a quelques années constitue une menace de plus en plus stratégique et existentielle pour Israël. S’il y a une vague qui pousse actuellement dans la direction opposée, ce n’est qu’un retour de manivelle. En effet, la région est toujours en état de flux, ce qui ouvre la porte à d’inévitables changements. Peut-être que la lamentable situation actuelle politique, sociale, économique, sécuritaire et morale des régimes et des forces contre-révolutionnaires prépare une nouvelle prochaine vague qui apprendra les leçons des épisodes précédents, puis imposera la volonté de la nation pour la liberté, l’unité et la renaissance, et réorientera la lutte vers la libération de la Palestine.

Par conséquent, ce qu’il faut maintenant, c’est la détermination pour le maintien des droits, et pas compromettre l’avenir de la Palestine, peu importe la pression et le coût, et chercher à remettre de l’ordre dans la politique palestinienne sur la base d’un nouvel ordre du jour qui abandonnera l’héritage des Accords d’Oslo, reviendra à la volonté de la nation, réactivera la plateforme de résistance et bénéficiera des immenses potentialités du peuple palestinien chez lui et dans la diaspora, de la nation et de toutes les forces internationales qui soutiennent le droit des Palestiniens à sa terre et à ses lieux saints.


La version en arabe de cet article est parue sur Al Jazeera.net le 25.01.2018.


Source : Al Zaytouna

Traduction : MR pour ISM

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