Contributions

L’UNEA : une école de patriotisme et d’engagement pour le progrès

 Contribution du regretté Arezki Boudiba, transmise à Raïna par M’hamed Rebah

Dans la période 65-70, l’Université d’Alger, unique université du pays, héritée de la colonisation, était encore de type élitiste, malgré les assouplissements introduits après l’indépendance au plan social (bourses, chambres,…). L’enseignement était de type bourgeois et s’adressait plutôt à une minorité issue des classes privilégiées. Dans les pratiques universitaires, les survivances de tendances au mandarinat étaient encore perceptibles. A la faculté de sciences, les taux de succès en première année (MPC et MGP ) restaient relativement bas ; En licence, il arrivait que le professeur responsable d’un enseignement affiche « néant admis » à la session d’examen de juin (Certificat d’Électricité). En même temps, prenait forme un noyau d’enseignants progressistes qui faisait tout pour mettre les sciences à la portée du plus grand nombre. Dans ce sens, l’aide de certains coopérants dévoués à la tâche, a été précieuse (Caubarere en Physique, Grisvard et Chauvin en Maths, Dowidar en Sciences Eco, …). La nécessite et l’urgence de la formation massive de cadres dont le pays avait un besoin crucial s’imposait comme une tache centrale. L’université formait des cadres pour le pays certes, mais dans des limites extrêmement faibles quantitativement, même si l’on tient compte du nombre relativement peu élevé d’étudiants inscrits à l’époque (le nombre total d’étudiants était de 5000 environ). Au début des années 70, les projections du plan quadriennal faisaient ressortir un besoin de 25 000 cadres pour jeter les bases d’une économie nationale indépendante.

L’Union n’a cessé d’attirer l’attention sur l’urgence d’une reforme de l’enseignement supérieur. Les revendications d’une démocratisation de l’enseignement, d’un enseignement prenant en compte nos spécificités nationales, ouvert sur l’universel et révolutionnaire, sont essentielles pour une reforme en mesure de faire jouer à l’Université un rôle dynamique dans la réalisation des taches d’édification nationales. Il n’était que justice de prendre en compte l’aspiration profonde de notre peuple pour son accès au savoir et à la connaissance. Dans ce sens, la reforme de l’enseignement supérieur de 1972 a été une avancée importante pour l’ensemble des forces progressistes.

C’est dans ce contexte que les étudiants se mobilisaient avec leur organisation l’UNEA, pour la défense de leurs intérêts matériels et moraux dans le cadre de l’intérêt général, pour limiter les effets de la sélection sociale à l’Université. Ils participaient au mouvement général des forces progressistes pour l’ancrage des orientations de l’option socialiste dans le pays et à l’université. Il s’agissait aussi d’assurer la mise en échec des pesanteurs, des entraves et des plans des partisans de l’option libérale, des conservateurs et de la réaction alliée à l’impérialisme. Ces plans étaient souvent activés par le blocage et le dévoiement des mesures positives nécessaires au développement indépendant et surtout par des tentatives continuelles de restrictions, de blocage des libertés démocratiques et syndicales et la répression. Ils visaient à désarmer les masses et empêcher le déploiement des luttes des forces progressistes et révolutionnaires pour concrétiser les objectifs de développement d’un secteur public puissant dans l’industrie après la mise en place du secteur autogéré dans les entreprises et fermes nationalisées (propriétés de colons ou de collaborateurs-harkis).

Interdite suite au coup d’État du 19 juin 1965, malgré les dangers et les menées répressives des forces de la réaction au sein du pouvoir, l’Union a continué a jouer son rôle avec des structures vivantes au sein de la masse des étudiants et en constante écoute de leurs préoccupations et attentes. Elle a su imprimer au mouvement étudiant un essor grandissant et durable à son combat, y compris après sa dissolution en 70.

De la période légale et avec son journal «Université et Révolution », son adhésion à la formation militaire des 45 jours pour les étudiants et les lycéens après la guerre des 6 jours de 1967 et les grèves pour les libertés démocratiques de 1968 sont autant de souvenirs vivaces et grandioses de l’Union, tant cela galvanisait notre engagement et notre mobilisation pour les idées et l’action progressistes, pour les lycéens que nous étions dans ces années. Une fois à l’université, nous découvrions l’ampleur et la signification de sa ligne politique, qui à notre enthousiasme allait bien au-delà de l’image que nous nous faisions et nous faisait entrevoir des perspectives de lutte grandioses dans le cadre de la révolution démocratique et populaire déclenchée le 1er Novembre 1954.

On peut caractériser son analyse et sa ligne par son constant attachement à être toujours à l’écoute et à organiser l’action des étudiants pour la satisfaction de leurs revendications pour de bonnes conditions d’étude et de vie, dans le cadre de l’effort général du pays de pourvoir à ses besoins de cadres qualifiés et engagés pour développer le pays pour le bien des masses populaires. En même temps une attention particulière est développée pour sauvegarder l’union en tant qu’instrument de lutte des étudiants par la mise en échec des différentes tentatives de caporalisation, de répression et de mise en place d’une organisation fantoche des étudiants. Les années 69 et 70 ont été particulièrement riches dans le développement de l’action de l’union. L’assouplissement du système d’examen par l’introduction des examens partiels, l’augmentation du taux de la bourse pour les filières sciences et techniques, l’organisation d’activités culturelles (semaine du cinéma engagé à CUBA, organisation de ciné-clubs, Festival panafricain …), ont créé un climat propice pour l’essor des luttes. L’Union a été aussi une école d’éducation politique et idéologique, dans le sens de contribuer à la formation de cadres patriotes et engagés pour la réalisation des idéaux de justice sociale, de développent national indépendant, aux côtés des larges masses dans leur lute pour la satisfaction de leur revendications et la concrétisation de l’option socialiste. L’Union était aussi présente pour développer la solidarité avec la lutte des peuples pour leur liberté et leur indépendance, contre le colonialisme, le sionisme et l’impérialisme.

Un moment fort dans la vie de l’Union a été l’AG de renouvellement du comité de la section d’Alger. L’AG a eu lieu vers la fin 70, à la sale 71 du bâtiment de Maths, avec des mesures de vigilance et une organisation très rigoureuses. Elle regroupait des délégués élus dans les facultés et grandes écoles. Les débats et discussions ont été d’une telle richesse que l’AG prenait la forme d’un véritable congrès. Il s’agissait de poursuivre la lutte pour la défense des intérêts matériels et moraux des étudiants dans le cadre des intérêts du pays, pour une reforme urgente de l’enseignement supérieur, pour les libertés démocratiques et en particulier l’autonomie des organisations de masse. Il s’agissait aussi de contribuer à soutenir les efforts des forces progressistes pour asseoir les bases matérielles d’une économie nationale indépendante en intégrant les revendications culturelles nouvelles arrivant à maturité dans le cadre du socle de la culture nationale, d’essence arabo-berbère.

Quelque mois à peine après le renouvellement du CS, la décision de dissolution de l’UNEA tombait. Les tendances hégémoniques du FLN poussées par les conservateurs et la réaction avaient réagi par peur de l’essor de l’expression libre des masses dévoilant leurs manœuvres contradictoires avec les intérêts du pays. Immédiatement toutes les facs et grandes écoles se mirent en gréve les unes après les autres. Rassemblements, matraquage, arrestations, …Une répression générale s’en est suivie contre le mouvement étudiant. Les responsables de l’Union encore libres étaient recherchés. Une véritable chasse à l’homme est organisée par les RG aidés par la kasma FLN d’Alger-Centre. La mise en place de vigiles à l’intérieur des facs, l’incorporation d’office au Service National de nombreux étudiants, ont crée une situation de malaise et de tension à l’Université. L’opinion soutient largement la justesse de la revendication des étudiants à une organisation de masse nationale autonome et dénonce et condamne la répression contre les étudiants.

Ce fut un véritable coup dur pour le mouvement étudiant. La dissolution de l’Union a été une perte irremplaçable pour l’ensemble des forces patriotiques et progressistes. Les promoteurs de cette décision pensaient pouvoir museler les étudiants dans leurs expressions et actions aux côtés des autres forces patriotiques. Ils ont échoué lamentablement ! En effet, rapidement le mouvement s’est adapté à la nouvelle situation, en mettant en œuvre de nouvelles formes d’organisation et d’action reprenant les orientations fondamentales de l’Union avec encore plus de force et de profondeur!. En fait le potentiel de lutte des étudiants était toujours présent. L’évolution positive de la situation nationale par la décision de nationalisation des hydrocarbures, l’adoption des textes portant Réforme de l’enseignement supérieur et surtout l’ordonnance portant révolution agraire vont créer une situation politique nouvelle. Ce fut alors les comités pédagogiques dans le cadre de la réforme et surtout les comités de soutien à la révolution agraire puis les comités de volontariat qui montrèrent toute la vigueur et tout le génie du mouvement étudiant. Les campagnes de volontariat réalisées ont été d’un impact significatif et souvent retentissant pour la mise à nu des manques et la levée des obstacles bureaucratiques ou autres sur le terrain, pour l’application des dispositions de l’ordonnance portant révolution agraire. Le mouvement étudiant écrivait en fait l’une des plus glorieuses pages de son histoire !

Arezki Boudiba, mai 2020

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