Économie

« Nous pouvons régler la question de la pomme de terre »Saci Belgat,Expert en Agriculture

Le docteur en agronomie et expert Saci Belgat considère que la crise de la pomme de terre est liée au manque de volonté politique pour mettre en place une politique agricole souveraine. Il y a aussi la question de la réorganisation du secteur qui s’impose.

L’Expression: Pourquoi les pouvoirs publics n’arrivent-ils pas à juguler une fois pour toutes le problème du tubercule qu’est la pomme de terre?
Saci Belgat: La réponse à la question comprend trois volets. Le premier volet est politique, les pouvoirs publics n’ont, soit, aucune volonté politique pour initier une politique agricole souveraine et/ou ils ne savent pas le faire et c’est aussi grave. Derrière les importations, notamment de semences de pomme de terre se nichent des intérêts financiers colossaux de groupes d’importateurs privés. Ces groupes organisés en lobbys influencent sans aucun doute la décision de production de sa propre semence, sinon, comment des pays moins favorisés aussi bien au plan financier que technique que le nôtre aient pu à l’instar de la Tunisie régler la question de la semence de pomme de terre. Le deuxième volet est technique, et en lien avec le premier volet. Tant que la question de la semence n’est pas réglée, l’Algérie continuera à naviguer à vue. Durant la période des années de vaches grasses coïncidant avec la bonne santé financière du pays et donc l’offre en trop-plein de la devise (euros et dollars), la question de l’importation de la semence ne se posait presque pas, aujourd’hui, nos finances sont rentrées dans la zone de turbulence et par conséquent de la raréfaction de la devise et voilà que la question des importations, y compris de la semence de pomme de terre, revient au trot dans le débat et les décisions gouvernementales. Il se peut que le ministère de l’Agriculture ait commis une imprudence dommageable de communication sur la question de l’importation de la semence durant cette saison, mais là n’est pas le fond du problème. La question nodale, elle est dans cette incapacité de l’Algérie à promouvoir une politique agricole de l’offre et des solutions à la mesure de l’inquiétante question de la souveraineté alimentaire. C’est aussi peut-être dans ce tâtonnement que se trouve l’explication de la valse des ministres de l’agriculture soulevée opportunément par votre journal. Quel est le pays qui peut se permettre de changer cinq ministres en cinq ans et concourir dans le même temps au règlement de la question alimentaire? Aujourd’hui, ne pouvant plus vivre l’insouciance des années financières folles, on se renvoie la patate chaude, sans pour autant ouvrir le débat sur quelle agriculture: – une agriculture de la spéculation et des annonces fantaisistes des exportations ou une agriculture de souveraineté qui garantit en premier chef la nourriture à 40 millions d’Algériens? Le troisième volet: sommes-nous en mesure de régler cette question de la semence à moyen terme? ma réponse est oui sans la moindre hésitation. Les ingénieurs et techniciens qui y travaillent, sont en mesure de le faire et de satisfaire la demande nationale en semences de pomme de terre. In fine, c’est la décision politique qui fait défaut, comme d’ailleurs dans de nombreux domaines stratégiques.

Cette flambée fulgurante du prix de la patate est-elle liée uniquement aux perturbations climatiques ou le problème est-il ailleurs?
La pomme de terre n’obéit pas stricto sensu aux perturbations climatiques, celles-ci agissent à la marge étant donné que la culture de la pomme de terre est menée y compris en plein champ en irrigué. Il se trouve à notre avantage, une fois la question de l’eau d’irrigation résolue, compte tenu de la diversité climatique et de l’étendue du territoire national de produire la pomme de terre sans grandes contraintes climatiques à toutes les saisons. Biskra et El Oued sont devenues des régions à haut potentiel de production de pomme de terre, même si j’ai quelques réserves sur les itinéraires techniques et l’aggravation de la salinité des sols de ces régions….
Le problème, il est dans l’organisation et la politique agraire. Il est temps que le ministère de l’Agriculture ait une véritable politique agricole avec des objectifs clarifiés, bien identifiés et débattus par les acteurs et spécialistes des filières agricoles. Il n’est pas demandé au ministère de l’Agriculture de battre les records de production et de rendement, il lui est demandé de réguler la production et c’est là le rôle central qui lui est théoriquement dévolu par l’Etat algérien. Un Etat et ses institutions sont désignés pour discipliner tous les acteurs privés et publics qui agissent en son nom. Disciplinés, c’est-à-dire les insérer dans une politique programmatique où l’Etat joue pleinement son rôle central de leadership. Pouvez-vous imaginer un importateur aussi puissant qu’il puisse être débarquer sur le marché international de la semence- faire son marché, s’il n’a pas l’appui et la couverture de l’Etat national- de la Banque – et c’est cet Etat et ses institutions qui sont malmenés par ces mêmes acteurs – c’est à ne plus rien comprendre et à perdre son latin. Il est inconcevable que des Algériens ayant fait fortune avec l’appui de l’Etat le mette au défi et humilient ses institutions.

Les professionnels de l’agriculture incombent cette flambée insoutenable au jeu malsain de certains spéculateurs qui détiennent une quantité considérable de la pomme de terre dans les chambres froides depuis plus d’un mois, si c’est le cas, comment se fait-il que les pouvoirs publics n’interviennent pas?
La réponse, elle est en partie dans ce qui vient d’être dit. Je n’arrive pas à imaginer un instant que des spéculateurs fassent le mauvais temps dans un Etat souverain. Nous manquons de volonté sérieuse de réguler le marché par la production. On a recours à la rareté et les joint-ventures de l’importation. Les acteurs économiques ne sont pas libres de leurs actes, on ne peut décemment profiter de toutes les garanties de l’Etat, des subventions et de toutes les largesses puis dans un second temps faire à sa guise et spéculer sur le dos de l’Etat. Dans tous les pays, la force coercitive de l’Etat, sa force publique, est plus forte que toutes les résistances et magouilles malsaines. C’est en cela qu’on reconnaît la robustesse d’un Etat, fut-il le plus libéral au plan économique. A titre indicatif, les chambres froides dans lesquelles est stockée la pomme de terre ont été financées en grande partie par le Pnda (Programme national de développement agricole) donc sur fonds publics- en termes triviaux, ces spéculateurs raflent le beurre, son argent et la suite avec… En Algérie, les responsables donnent l’impression d’aimer travailler sous tension; c’est comme si on maintient artificiellement un goulot d’étranglement pour justifier le recours à la dépense inutile de la devise et toutes les dérives de transferts illicites vers les paradis fiscaux. En pomme de terre, nous pouvons régler la question de la production et de sa disponibilité une bonne fois pour toutes et dans toutes les saisons, si tant est qu’on réhabilite les plaines fertiles du haut et du bas Chellif, de Ghris en réglant pour les premières, la question de la salinité et pour la plaine de Ghris en procédant à la recharge de la nappe phréatique.
sources:L’expression du – Jeudi 16 Mars 2017
Par Neffah HOCINE

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*