Société

Pouvoir d’achat, l’érosion s’accentue

70% des salariés perçoivent moins de 20 000 da: Pouvoir d’achat, l’érosion s’accentue
Liberte-algerie / Badreddine KHRIS

“Tant qu’on n’a pas revu en profondeur les disparités de revenus et leurs causes directes, nous ne sommes pas près de limiter la casse pour les petits et moyens ménages, ni de refréner la frénésie de consommation des détenteurs de gros revenus”, estime l’expert financier, Ferhat Aït Ali.

Les prix des produits et des services ont connu une hausse considérable ces dernières années. L’on peut citer l’exemple des tarifs des fruits de saison qui ont enregistré des flambées atteignant parfois 100%. La consultation chez un médecin spécialiste qui était fixée entre 1 000 et 1 500 DA est proposée de nos jours à 2 000 voire 2 500 DA. La vie est devenue depuis au moins deux décennies de plus en plus chère. Si la courbe des prix des produits alimentaires très prisés a suivi une tendance haussière, celle des salaires, en revanche, a stagné depuis 2012. Le citoyen algérien au revenu modeste vit actuellement les moments les plus difficiles de son existence. Les méfaits de la crise à laquelle est confronté le pays n’ont pas été sans conséquences sur son quotidien. Son pouvoir d’achat ne cesse de s’éroder face à une inflation et une cherté de la vie impitoyables. Entre ses capacités à s’offrir les produits de consommation et les prix pratiqués existe un véritable fossé.

Ses difficultés à remplir son couffin du strict minimum d’aliments indispensables illustre parfaitement l’érosion de son pouvoir d’achat. La dévaluation du dinar n’a fait qu’envenimer la situation. Et cette impuissance des ménages face à la hausse des prix a impacté l’activité commerciale puisque le chiffre d’affaires d’innombrables commerçants a nettement chuté. L’indice brut des prix à la consommation de la ville d’Alger enregistre une hausse de 1,2% en octobre 2018 par rapport au mois de septembre, soit un taux largement supérieur à celui observé au même mois de l’année 2017 (+0,5%). Cette tendance (+1,2%) est le fait, particulièrement, de la croissance des prix des biens alimentaires. Ces derniers se caractérisent par une variation de +2,4%, résultat d’une augmentation importante des prix des produits frais, soit +4,9%. L’évolution des tarifs des produits agricoles frais est induite, essentiellement, par le relèvement des prix des fruits et légumes (respectivement +15,7% et +12,6%), de la viande de poulet (+5,6%) et des œufs (+6,0%).

Avec le niveau bas de son salaire, l’Algérien ne peut vivre dignement dans son pays. Un “salaire digne”, tel que le conçoit l’Association de protection et d’orientation du consommateur et de son environnement (Apoce) ne doit pas être au-dessous des 60 000 DA par famille de cinq membres. Cette paie permettra plus ou moins, aux ménages de s’assurer un seuil minimal de denrées alimentaires et quelques soins de santé. Mais, l’on ne doit pas penser à faire des économies ou évoquer d’autres dépenses liées aux loisirs ou réaliser des projets… Or, l’Algérien perçoit en moyenne un salaire estimé à 30 000 DA. Une rémunération qui ne peut lui garantir des conditions de vie acceptables. Entre les dépenses des diverses fêtes et autres événements tels que la rentrée sociale, la saison estivale… les familles algériennes aux bourses moyennes subissent une véritable saignée. Les familles sont fort heureusement un peu soulagées par les quelques produits de première nécessité et d’autres prestations pour lesquels les pouvoirs publics n’ont pas levé la subvention. “Sinon, ça aurait été carrément la misère !”, avoue un citoyen. Le soutien apporté par l’État à certains produits notamment le pain, le lait, l’eau, l’électricité, le gaz, le transport public… ne suffira pas toutefois à contenir l’inflation dans une proportion acceptable tant la flambée des prix affectera toute une série de produits auxquels se réfèrent habituellement les statisticiens de l’Office national des statistiques (ONS) pour calculer les taux d’inflation.

Une politique salariale à revoir
“L’équation du pouvoir d’achat en Algérie, sera insoluble tant qu’elle est prise sous l’angle de la valeur de la monnaie nationale, et celui des marges commerciales, en lieu et place de celui de la répartition des revenus issus de l’emploi salarié”, avoue l’expert financier, Ferhat Aït Ali. Il est de coutume, explique-t-il, d’annoncer en période de baisse des recettes en dollars, une “mauvaise année en perspective pour ce fameux pouvoir d’achat, et de revenir à plus de faux optimismes à chaque embellie même éphémère sur le prix du baril”. À tel point où “mêmes les citoyens attendent une amélioration immédiate de leur niveau de vie et de leur pouvoir d’achat tout de suite après une hausse des prix du pétrole”, indique-t-il encore. Or, dans les faits, le pouvoir d’achat des uns et des autres est déterminé par les “disparités de revenus dans le salariat algérien qui représente le gros des revenus des ménages dans le pays et dont la majeure partie est indirectement liée à la rente pétrolière à travers la Fonction publique et le secteur public économique”, relève l’économiste.

Pour M. Aït Ali, il est tout à fait normal que la sphère marchande tant qu’elle peut capter une partie des revenus de la classe moyenne supérieure qui, tout en étant peu nombreuse, capte presque la moitié des revenus du reste des trois quarts du salariat local, peut encore offrir de belles marges aux commerces, et les dispenser de baisser leurs prix et marges pour les mettre au niveau des revenus les plus bas, qui eux sont tenus d’affronter les prétentions du marché alignées sur les moyens des ménages les plus nantis. “De ce fait, tant qu’on n’a pas revu en profondeur les disparités de revenus et leurs causes directes, nous ne sommes pas près de limiter la casse pour les petits et moyens ménages, ni de refréner la frénésie de consommation des détenteurs de gros revenus”, constate-t-il. La problématique du pouvoir d’achat est, selon lui, “directement liée aux revenus en valeur courante et à leur mauvaise répartition et non pas à la valeur du dinar uniquement ou la disponibilité des produits”.

Cet observateur très au fait de la situation économique du pays, soutient que “tant que nous utilisons le repère comme base de calcul en lieu et place des coordonnées de courbe qui déterminent la répartition de ces revenus, nous nous trompons et trompons notre monde”. Il faut dire en effet que la faiblesse d’une politique salariale cohérente privilégiant les créateurs de valeur ajoutée, le travail et l’intelligence au profit des postes d’emploi a contribué à cette inflation. À cela il y a lieu d’ajouter “l’extension de la sphère informelle qui contrôle quatre segments à savoir celui des fruits et légumes, des viandes rouge et blanche, du poisson et du textile et cuir. L’allongement des circuits de commercialisation à travers leur désorganisation entre le producteur et le consommateur favorise les rentes de monopole”, estime l’expert financier, Abderrahmane Mebtoul.

La sphère informelle avec des structures “monopolistiques et oligopolistiques”, déplore-t-il, favorise les actions spéculatives, synonymes de hausse inexorable des prix. Le constat unanime mais amer : l’Algérie est considérée comme un État riche avec environ 80 milliards de dollars dont 86% déposés à l’étranger mais une population de plus en plus pauvre où 70% perçoivent moins de 20 000 DA par mois consacrant plus de 80% de ce modeste revenu aux biens de première nécessité…

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