Politique

Syrie – Russie – Israël : séisme géostratégique au Moyen-Orient. par Mohamed Bouhamidi

En cinq jours, la direction politique et militaire russe a réussi, au plan de la communication, de faire passer la destruction de l’Il-20 en un acte isolé d’Israël, détaché des enjeux internationaux.

Les médias russes ont bien signalé la détection, le 17 septembre, par leurs radars de tirs de missiles du navire de guerre français Auvergne et du survol de leur base à Hmeimin par un Tornado britannique. Mais ils ont immédiatement laissé dans l’ombre ces deux questions.
Pire, Poutine s’exprime le 18 septembre en considérant que le drame est « une suite tragique de circonstances tragiques ». Il laisse comprendre à ses ennemis qui s’en réjouissent et à ses amis qui en sont consternés, qu’il n’y a pas de responsabilité à pointer. Pour l’instant, car il ajoute qu’il a supervisé et avalisé le communiqué de son ministre de la défense, qui désigne Israël comme responsable direct du drame et réserve à la Russie la droit de répondre à cet acte.
Il accepte de répondre à l’appel téléphonique de Netanyahou qui regrette la mort des 14 aviateurs russes mais, au lieu de s’excuser, renvoie la responsabilité de la tragédie sur les syriens. Poutine énonce l’étrange constat qu’Israël bombarde sans discontinuer un Etat souverain en violation du droit international, alors même que la Russie restait neutre et avait établi des canaux de communication pour éviter un heurt entre les deux armées russe et israélienne.
Cela ne semble pas avoir suffisamment attiré l’attention que, ce faisant, Poutine renvoyait ses relations avec Netanyahou du domaine de leur amitié affichée au registre du droit.
Fait plus important, il exigeait une enquête honnête sur la destruction de l’avion.
Israël qui ne souhaitait pas, avec son impudence habituelle, s’exprimer sur l’incident devient brusquement bavarde et envoie en urgence une délégation d’officiers de haut rang menée par son chef des forces aériennes s’explqiuer devant les généraux russes, Fait inédit : Israël s’explique ou essaye.

La délégation militaire israélienne passe à un degré supérieur dans l’impudence/insolence : elle affirme que ses avions étaient déjà en train d’atterrir quand la DVA syrienne a touché l’avion russe, qu’ils ont averti les russes bien plus qu’une minute à l’avance avant l’agression, que les syriens incompétents n’ont pas su utiliser le système de reconnaissance amis/ennemis des avions russes et ont tiré au hasard.

Poutine ne recevra pas cette délégation et le Kremlin le fait savoir même si nous pouvons nous demander pourquoi un président d’un grand Etat serait dans l’obligation de recevoir des militaires israéliens ? L’annonce avait alors pour fonction un fait de communication, l’expression d’une colère qui se fait voir et connaître.

Le 19 septembre le ministère de la défense fait savoir que cette manœuvre israélienne n’empêchera pas la réalisation de l’accord turco-russe sur Idlib. Mais que venait faire Idlib dans cette affaire ? Et pour quel besoin urgent les militaires russes nous mettaient la puce à l’oreille, précisément dans cette direction ? De leur côté les turcs avançaient la même analyse.
Comme si la réaction des russes devait viser l’OTAN comme acteur réel dans cette « tragédie » et non seulement Israël.
Il devenait évident que les russes menaient un travail de communication vers les réseaux alternatifs d’information dans lesquels s’exprimaient de plus en plus de la colère et du dépit pour la « mollesse » de Poutine, son côté fuyant. Une invitation semblait nous orienter vers l’effort des russes de montrer leur colère et démontrer la mauvaise foi et l’intention criminelle de provoquer des israéliens.

Cette attention dirigée vers Idlib signifiait, pour moi, qu’Israël a agi comme mandataire d’une provocation beaucoup plus grande visant à amener une réaction russe contre Israël et l’OTAN dont fait partie justement la Turquie.
La Russie voulait circonscrire cette affaire à une question israélo –russe, sans connexion avec des tiers et convaincre qu’elle ne cherchait noise à aucune puissance.
En Russie de trop nombreuses voix se sont élevées du Sénat et de la Douma, des généraux retraités, voir des militaires en activité pour réclamer réparation et destruction d’avions israéliens dans toute future attaque.

Au troisième jour, l’affaire devenait une affaire russo-russe, une espèce de pression générale exercée sur Poutine pour régler un différend déjà perçu comme strictement russo-israélien.
La veille de l’Achoura, Hassan Nasrallah, appelle à trouver une solution collective de la résistance pour faire à Israël sa démesure, sa folie et son orgueil. Et il informe le monde entier que les prétextes israélien de freiner ou stopper le transport des armements qui lui étaient destinés.
Les documents israéliens qui accusent carrément les russes d’incompétence et continuent de donner de fausses informations sont l’occasion pour les russes de passer à un niveau supérieur dans la communication. D’autres données techniques sont publiées, les russes exigent une communication honnête des données israéliennes, donc les accusent de mensonges. Mais surtout, surtout, ils reprochent, enfin, aux israéliens leur ingratitude. Les russes avaient beaucoup donné à Israël pour assurer sa sécurité dont l’accord iranien et Haezbollahi de se retirer à des 80 kilomètres de sa frontière.
La défense russe mettra en avant le côté insolent de la démarche, immoral, inamical.
Aujourd’hui, Poutine a annoncé à Al Assad l’envoi sous quinzaine des S300. La défense russe annonce que les batteries syriennes seront jumelées à la DCA russe de Hmeimin. La DCA russe sera dotée du système de reconnaissance ami/ennemi. Les militaires russes brouilleront toutes la communication satellites à l’Est de la Méditerranée. C’est un fait unique. La Russie ne l’a fait que pour son satellite biélorusse.
Tous sont avertis que la sécurité de la Syrie est partie intégrante de la sécurité russe.
L’Iran et le Liban ne sont pas si loin des préoccupations stratégiques ni des hypothèses de confrontations globales.
Bref aucune attaque aux missiles ou par avion ne pourra être menée contre la Syrie. De la part des USA, de la France, de l’OTAN, de l’Angleterre ou…d’Israël.
La réponse est, du point de la communication, strictement une affaire de revanche russo-israélienne.
Dans les faits elle représente un bouleversement, un séisme géostratégique.
Les USA qui viennent d’annoncer que les « attaques chimiques » ne sont plus la raison nécessaire d’une frappe et qu’ils bombarderont la Syrie à la moindre offensive de l’armée syrienne à Idlib, mesureront le développement des capacités russes à mener une guerre de 5ème génération et d’exceller dans son aspect communication.
Israël, mandataire, sans aucun doute, de l’OTAN et des USA dans cette affaire a réussi l’exploit de rendre infiniment risquée toute agression impérialiste sur la Syrie.
Elle accentuera les fissures OTAN-Turquie et poussera cette dernière à plus de modestie dans ses objectifs en Syrie.
Que dire alors de l’Arabie saoudite ?
La défense russe a affirmé que les S300 refroidiront beaucoup de têtes brûlées. Quelle belle expression.
Oui, le monde change ; le rapport de forces aussi.
Mohamed Bouhamidi. 24 09 2018.

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