Société

Un empereur nommé désir de Djawad RostomTouati.

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Un long poème du désir amoureux, captivant d’excellence et de raffinement, ouvre le roman de Djawad Rostom Touati. Il situe d’emblée le niveau d’écriture, baudelairien pour le poème et éminent pour le reste, auquel l’auteur nous invite et tient à se situer. Il tient le défi, tout au long de son long roman, véritable investissement de son érudition de la littérature française dans une écriture, pourtant, totalement vouée à la lecture d’une Algérie littérairement inédite.

D’emblée, ce désir amoureux, qui agence le livre, se heurte à une nouvelle réalité de notre pays, le salariat et le salariat dans une structure de gestion des problèmes de recouvrements et de management d’une entreprise privée et pas de production. A mesure qu’il avance dans le roman, le lecteur se retrouve au cœur de cette incontournable question philosophique du caractère aliénant du travail devenu servile et dans ce type de travail, le travail salarié dans lequel le travail collectif ne verse que dans le profit individuel, aliénant à son point culminant. Cette question est superbement posée et menée par la nouvelle hiérarchie de servilité qui s’installe entre les employés croyant y trouver une sécurité de l’emploi ou une promesse d’avancement. Le lecteur trouvera dans la flagornerie de certains, l’image littéraire la plus convaincante, que ce type de relation est une perte de sa liberté. Une aliénation au plus haut degré car mutée en désir de cette aliénation quand rien ne vient suppléer la disparition des anciens liens de solidarité sociale, clanique ou tribale et parce que les organisations politiques ou syndicales synchrones au capitalisme ont été désactivées, dépassées par le nouveau contexte. La complicité construite avec un collègue pour trouver les tâches à l’extérieur qui le libèrent de l’ennui du bureau, ne suffit pas à construire un contre-pouvoir à l’intérieur de la structure qui l’emploie. Les passages de ce roman sur la naissance à la fois spontanée et hyper-déterminée des rapports sociaux nouveaux, marchands, nous proposent un regard presque totalement inédit dans la sphère de notre littérature nationale et, bien sûr, tout à fait antinomique avec celui de la « littérature monde ».

Nadir ne peut échapper, d’aucune façon, à cette structuration sociale en marche, qu’il vit comme une contrainte et dont il hait la flagornerie et la bassesse. Lui qui vit dans l’écart à la norme, par la puissance de son désir d’amour et de poésie, de son désir de liberté, par son désir toujours renouvelé de séduction, ne s’en tirera que dans l’écart que vient lui offrir l’amour d’une collègue, qui va lui amener bien plus que la satisfaction de la séduction accomplie. Daria, inscrite à un forum Facebook, témoin de la joute poétique, forme d’un duel, à plumes non mouchetées, est atteinte à la fois par l’attirance vers Nadir et vers le miroir de sa poésie qui lui renvoie dans sa plénitude acceptée et chantée le désir féminin, encore tant nié ou refoulé malgré une vie féminine hors des murs du gynécée. Nadir lui renvoie une image désirée du désir féminin, essentiellement différent de l’idée de sexualité. Elle aimait et voulait ce Nadir-là et pas ce collègue rebelle aux disciplines qui tuaient son appétence de poésie, de liberté, d’accomplissement.

Cela se fera à partir de ce poème splendide, qui fera accepter à Daria l’expression de ses propres envies amoureuses et l’accomplissement de sa féminité.

Dès lors que le chemin se crée entre eux, nous entrons dans une avancée contradictoire et heurtée de la vie rebelle de Nadir, vouée aux séductions et à l’écriture poétique ou romanesque et cette offre d’amour. Le roman devient l’arabesque d’un amour qui naît contre lui-même, qui atteint ses sommets par les sorties vers la plage, vers les expos de peinture, vers le logement laissé à Nadir par ses parents. Car c’est bien là le deuxième écart dans la vie de Nadir, le luxe d’un appart libre qui lui donne la liberté de ses quêtes amoureuses.

Il lui faudra pourtant abandonner ou non ses habitudes de conquêtes le plus souvent réalisées en entente avec deux camarades. Djawad Rostom Touati nous introduit dans un long et somptueux face-à-face entre un monde des images, du faux semblant, des séductions pour l’égo et les appels de l’amour réel et l’exigence de l’objet d’amour, Daria. Il poursuivra une histoire parallèle avec une fille qui entretient une relation avec un nouveau riche. Il la connaît par la maitresse d’un ami démuni qui a besoin du soutien de sa culture et de son bagout pour tenir à flot sa relation amoureuse bancale et frustrante pour la fille. Le nouveau riche, inculte, mais promoteur d’un restaurant –tiens, tiens ! – pour nouveaux branchés, est généreux en cadeaux qui permettent à la fille d’avoir l’image de la réussite sociale. Entre Daria et ces épisodes parallèles, le roman devient le miroir d’une vie dominée par le besoin de présenter une image, d’être une image conforme à l’attente d’un regard social, lui-même façonné par une certaine littérature de gare, entendue comme anti-culture qui ne parle plus mais multiplie le même cliché d’un bonheur consumériste qui n’offre que de l’image aux besoins d’images.

C’est que cette échappée de l’aliénation du nouveau système social marchand et asservissant devient, par sa propre dynamique, une recherche sans règles et le report à demain, pour une dernière aventure, toujours à demain, d’une entrée dans un modèle d’amour à construire avec Daria. Qui aura le dessus ? Daria et le réel de l’amour à inventer ou la dynamique d’aliénation contenue dans la nouvelle société marchande et marchande aussi de l’image de soi ?

M. Bouhamidi

Un empereur nommé désir – Djawad Rostom Touati – 2ème prix Ali Maâchi année 2016 – Editions ANEP –Alger -2017 – 383 pages – 700 da.

Source : Horizons du 14 02 2018.

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