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Zakaria Daoudi. Membre fondateur du CEC : «Les étudiants doivent repenser le rôle de l’université» | El Watan

A seulement 23 ans, cet étudiant en physique théorique de l’université Constantine 1 montre des capacités d’analyse politique et d’initiative qui défient tous les préjugés sur le désengagement de l’étudiant algérien. Dans cette ville active du hirak, ils sont une vingtaine comme lui à alimenter le mouvement du 22 Février par une révolution estudiantine tout aussi flamboyante, incarnée désormais dans le Collectif des étudiants de Constantine (CEC).

Comment est venue l’idée de créer le CEC ?

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Il y a eu d’abord un regroupement des étudiants actifs dans le hirak à Constantine. Ce sont des étudiants qui ont compris la nécessité d’intégrer les problèmes sociaux dans la ligne politique du mouvement. La constitution du premier noyau nous a poussés à organiser notre premier carré au sein des marches du vendredi. On a compris que ça ne mène à rien si on se limite à critiquer le système, mais quand on parle des problèmes de l’université et ce qu’a fait le système à l’université, nos propres problèmes dans nos études et tout, on a découvert qu’il est plus intéressant de faire converger nos luttes dans les problèmes qui nous touchent et ça a permis de rassembler plus d’étudiants. La plateforme qu’on a établie mobilise en ce sens davantage d’étudiants.

Il a fallu sept mois pour la création de cette organisation. Fallait-il autant de temps pour maturer l’idée ?

On a eu besoin de temps pour analyser ce qu’il y a sur la scène politique. Les universitaires en général ne sont pas représentés sur la scène politique, que ce soit par des partis politiques, des syndicats ou autre.

Mais il existe des organisations estudiantines historiques…

Ces organisations se sont transformées en des cadres bureaucratiques, elles ne font pas leur travail à l’université. Le cadre existe en effet, comme l’Unea et l’Ugel censées défendre les droits des étudiants, mais en réalité elles n’assument pas leurs missions et se sont transformées en relais du système à l’intérieur de l’université.

Donc, faute de représentativité, vous avez eu besoin de créer votre propre cadre…

Exactement. Il nous fallait créer ce cadre pour faire entrer les étudiants dans une lutte permanente. Le grand problème qu’on a vu dans le hirak, c’est que les gens ne se concentrent que sur le système, et pour nous, ce n’est pas la solution, pour nous, même si demain le système change ou s’en va, la lutte ne doit pas s’arrêter.

Vous vous connaissiez avant ?

Non, on ne se connaissait pas, mais grâce au mouvement, on s’est rendu compte qu’il y a des étudiants qui partagent les mêmes idées. Ça s’est dégagé à travers les marches, les débats et les sit-in qu’on a organisés et ceux auxquels on a pris part, notamment le forum du vendredi après la marche. A travers nos échanges, nous nous sommes rendu compte que nous partageons les idées, les principes et les préoccupations, et le projet s’est cristallisé pour créer quelque chose qui soit indépendant du système, des partis politiques, qui soit représentatif des étudiants et qui lutte pour leurs droits.

Justement, dans la déclaration de création du collectif, on sent que vous êtes jaloux de votre indépendance des partis ; pourquoi ce besoin de vous distinguer ?

Le mouvement du 22 Février a démontré que les partis politiques, pour la plupart, qu’ils soient de l’opposition ou alliés au système, sont rejetés par la société, les syndicats aussi, donc il est très important d’insister avec les gens du peuple que nous sommes indépendants et que nous activons de façon indépendante financièrement et moralement, c’est pour nous préserver des attaques potentielles sur ce point-là justement.

Les étudiants font partie du mouvement depuis le début à Constantine, mais depuis quelques mois, on a remarqué une démobilisation. Comment expliquez-vous ce recul ?

Le recul est expliqué par la grève qui a totalement cassé le cursus pédagogique des étudiants et a produit un détachement des étudiants de leur université. A Constantine, par exemple, les études n’ont repris que fin mai-début juin. Les étudiants ont été les premiers lésés par la grève et ça a eu un impact négatif sur les études et sur la vie universitaire en général.

Cela a impacté la participation des étudiants dans le mouvement aussi …

Absolument, parce qu’ils associent la grève au mouvement, vu que la grève a eu un résultat négatif, le mouvement pour eux a été discrédité pour cette raison justement.

Est-ce que vous travaillez pour remobiliser les étudiants, notamment pour la manifestation du mardi à Constantine ?

Oui, en effet, nous œuvrons pour cela, mais essentiellement, nous travaillons pour que les étudiants se concentrent plus sur l’université.

C’est-à-dire ?

Les étudiants doivent repenser le rôle de l’université d’abord. Aujourd’hui, l’université ne joue pas son rôle, celui d’être à l’avant-garde de la société. Notre priorité est de créer des débats entre étudiants sur les questions de l’université, et l’apport de chacun pour la société, dans la vie économique, politique…

Mais est-il possible de dissocier les problèmes de l’université aujourd’hui des problèmes du pays en général, ces problèmes qui ont poussé les Algériens à se révolter ?

Bien sûr que non, mais les gens se concentrent trop sur l’axe politique et ignorent ou négligent l’impact économique et social du système. La contestation actuelle est purement politique. Pour nous, c’est un problème ; quand on conteste un système, on doit le faire aussi sur les plans économique et social. Le système, bien qu’il soit corrompu, pose des problèmes économiques au peuple, avec ses lois libérales il nous impose une économie qui ne va pas dans notre sens, qui ne fait pas en sorte que la société s’émancipe. Les deux ne sont pas dissociables, mais on doit faire entrer les axes économique et social dans la contestation politique, c’est en quelque sorte pour s’immuniser contre tous les systèmes et les régimes qui vont suivre pour les empêcher de refaire la même politique économique.

Quels sont les objectifs du CEC ?

A court terme, nous faisons en sorte que l’université soit plus démocratique, il n’est pas normal qu’un recteur ou que les responsables de l’université soient désignés par le ministère alors que les premiers concernés sont les étudiants, les travailleurs et les enseignants. Aussi, nous demandons la transparence dans la gestion du budget de l’université, et connaître les moyens dont elle dispose, ces moyens qui à la base sont censés être à notre service. Nous demandons aussi que les étudiants, les travailleurs et les enseignants soient impliqués dans la prise de décision. Il y a aussi un problème très important, celui de la sécurité dans l’université.

Les cités universitaires sont devenues catastrophiques, elles ne nous offrent pas les conditions d’une vie décente pour pouvoir étudier, les restaurants universitaires n’offrent pas des repas sains, tout cela constitue une entrave au bon déroulement du cursus universitaire de l’étudiant. J’insiste aussi sur le point qu’il y a toute une pression bureaucratique sur l’étudiant qui l’empêche d’activer librement au sein de l’université, que ce soit pour faire des activités sportives, culturelles ou scientifiques. Nous devons passer par des procédures très longues pour obtenir des autorisations et pour que l’université nous donne les moyens d’activer. Donc, en gros, nos objectifs visent à obtenir une université gratuite, mais de qualité, qu’elle soit au service de l’étudiant – c’est écrit sur le papier mais en réalité ce n’est pas le cas – et faire en sorte que l’université nous offre les moyens matériels et financiers pour organiser nos activités librement, sans aucune censure, sans aucune entrave bureaucratique.

Un dernier mot…

Nous nous concentrons sur la création de débats ne serait-ce que pour penser déjà ce que c’est que l’université. Le problème de l’Algérie est que tous les régimes successifs n’ont fait qu’importer des modèles politiques et économiques, alors que nous devons penser ce que doivent être les choses par nous-mêmes. L’université n’est pas impliquée dans les choix politiques et économiques de l’Algérie et cela dénature complètement son rôle, celui de fournir ses services au peuple algérien.

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